A peine présenté sur la croisette, ce biopic non officiel de la jeunesse de Donald Trump fait déjà polémique. En pleine campagne électorale, le grand cocu des présidentielles de 2020 a annoncé avoir envoyé une mise en demeure aux équipes d’Ali Abassi. Objectif, bloquer la sortie du film attendu deux mois avant les élections électorales les plus scrutées du siècle. Mais cette fresque sur le jeune magnat de l’immobilier est-elle aussi incisive qu’annoncée ?
Après l’excellent thriller Les Nuits de Mashhad, le réalisateur danois d’origine iranienne a choisi un sujet éminemment brûlant et radicalement différent : s’attaquer aux premiers pas du milliardaire Donald Trump, aujourd’hui en proie avec la justice pour de multiples affaires aussi bien sexuelles que politiques. Taquin, Ali Abassi a choisi le titre de l’émission de téléréalité qui a battu des records d’audience de 2004 à 2015 et qui participa à la popularité du futur président des Etats-Unis. Contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer, le jeune Donald est encore (très) loin des outrances du populiste de droite qu’on connaît aujourd’hui. La première moitié du film montre un jeune homme peu confiant, hésitant et plus proche du gentleman milliardaire que du candidat misogyne et masculiniste apprécié des suprématistes blancs.
Ali Abassi raconte la construction du mythe Trump, personnage médiatique emblématique dont on a du mal à imaginer les états d’âmes aujourd’hui au regard d’autant de désinvolture et d’arrogance. Si l’exercice de la biographie est périlleux pour des hommes paradoxalement gouvernés par les images d’eux-mêmes qu’ils veulent véhiculer auprès des électeurs, il n’en reste pas moins que l’absolutisme de Trump laisse peu de place à la remise en question, même simulée pour se constituer un capital politique. Trump ne renonce jamais et manie la vérité comme un concept malléable et polymorphe. Ce biopic lui donne indirectement une fibre humaine.
Souvent considéré comme le champion des fake news, Donald Trump a largement contribué au climat de post-vérité et à la propagation massive du complotisme comme en atteste son rapport au COVID, au dérèglement climatique ou pour n’importe quel autre sujet clivant. Quand la « première démocratie du monde » s’enfonçait dans le mensonge sous sa mandature et que ses élucubrations passaient comme une lettre à la poste, cela n’a pas laissé indifférent le monde du pouvoir. Bien au contraire, nos politiciens en exercice sont désormais majoritairement inspirés des contrevérités proférées outre-Atlantique, euphémisme heureux choisi benoîtement par nos médias pour édulcorer leurs mensonges. L’attente d’un film consacré au président gracieusement congédié en 2020 était donc singulière au regard de la dégradation mondiale du rapport entre gouvernants et gouvernés.
Cette mise au point ayant été rappelée, le film d’Abassi raconte d’abord la rencontre entre Donald Trump et celui qui sera son mentor, l’avocat conservateur Roy Cohn, ancien conseiller du sénateur McCarthy farouchement anticommuniste. Aujourd’hui décédé du sida, cet homme brutal, manipulateur et cynique n’hésitait pas à s’affranchir des règles. La fin justifie les moyens et il n’hésite pas à convoquer la démocratie et ses fameux amendements pour légitimer ses chantages et autres techniques d’espionnage mobilisés pour remporter ses batailles. Cet homme influent avait d’ailleurs fait l’objet d’une pièce de théâtre, Angels In America de Tony Kusher, œuvre qui racontait la chute de ce puissant homme d’affaires à qui Donald Trump doit beaucoup selon Abassi. C’est d’ailleurs le fil rouge de The Apprentice. Ce personnage baroque avait même fait l’objet d’une série du même nom où Al Pacino campait le rôle de cet avocat véreux. La clé du succès, Roy Cohn l’aurait confiée au futur locataire de la maison blanche. Joué par l’excellent Jeremy Strong, l’avocat vole la vedette à ce bon vieux Donald. C’est lui qui lui enseigne trois règles fondamentales à respecter : la meilleure défense c’est l’attaque, créer sa propre vérité et ne jamais s’avouer vaincu. Jamais. Trois mantras qui semblent aujourd’hui profondément intriquées dans l’ADN trumpiste.
Au début du film, on assiste ainsi à la naissance de leur curieuse relation où Roy Cohn prend d’affection quasi paternelle ce gamin, alors si peu confiant. Contre toute attente, il apparaît bien éduqué dans le film d’Abassi, loin de l’image qu’on pourrait se faire du candidat actuel à la présidence. Cet angle déroutant interroge quant à son authenticité, tant le 45ème président des Etats-Unis, aujourd’hui âgé de 77 ans, est outrageusement vulgaire. Alors qu’on dit souvent que les vieux cons étaient avant tout des jeunes cons, on a du mal à croire à une telle transformation. Difficile de dire s’il s’agit d’un choix narratif pour s’attacher au personnage ou d’une réalité concrète, même si on voit progressivement Donald Trump virer au caractère gras et salace qu’on lui connait. A moins qu’il ne s’agisse d’auto-censure.
Trump, campé par Sebastien Stan, voit ses mimiques évoluer et se rapprocher petit à petit de son côté guignolesque, la bouche en cul de poule et la diction hachée si reconnaissables. Pour autant, si le choix de l’acteur est convainquant physiquement, en termes d’acting, on reste encore loin du sosie de Trump, décidemment inégalable. La copie, certes régulière, semble finalement bien pâle face à l’original. Cela s’explique peut-être du fait que le film s’achève bien avant le Trump « moderne » qu’on connaît. Il n’en reste pas moins que le spectateur restera sur sa faim face à cet angélisme et un épilogue carabiné.
Avant qu’il ne se détache de son mentor qui perdra progressivement la main sur sa créature, The Apprentice adopte le registre de la romance lors de sa rencontre avec Ivana Trump. Première épouse de Donald Trump qui est décédée en 2022, Ivana pourra dorénavant difficilement contester le portait brossé de leur rencontre. Présentée comme un coup de foudre pour le magnat de l’immobilier, Ivana a d’abord des étoiles dans les yeux quand elle échange avec ce jeune milliardaire de plus en plus confiant. Et même si une très brève séquence montre à l’écran le viol supposé de sa conjointe, Ali Abassi fait preuve d’une certaine retenue dans ses accusations comme pour la mise en scène de l’évènement.
Celle qui obtînt le divorce dans les années 1990 pour « traitement cruel et inhumain » est relativement épargnée par la violence de Trump dans le film d’Abassi. Celle-ci avait pourtant raconté dans une déposition un épisode extrêmement violent avec son mari qui l’aurait agressée sexuellement après une dispute. Un témoignage sur lequel la jeune mannequin d’origine tchécoslovaque est revenue trois ans après leur divorce dans le livre Lost Tycoon, The Many Lives of Donald J. Trump. Cela avait d’ailleurs donné lieu à une réponse sidérante du conseiller de Trump, Michael Cohen, qui aurait déclaré qu’on « ne peut pas violer sa femme ». Ce côté lubrique et prédateur de Trump, pourtant aujourd’hui largement documenté par des enquêtes journalistiques sérieuses et abondé par des actions en justice, est très en retrait dans The Apprentice, ce qui pourrait donner une image partielle de l’auteur des violences. C’est d’ailleurs ce point qui agace le plus les équipes du candidat à la présidence des USA aujourd’hui, alors qu’Abassi remet de l’huile sur le feu et qu’il risque très certainement un procès en diffamation, voire une condamnation étant données les déclarations de son ex-femme décédée défaussant son ex-mari.
Si le personnage libidineux de l’homme politique apparait progressivement, on regrettera qu’il ne soit pas à la hauteur de l’arrogance et de la violence omniprésentes dans les discours de Trump qui n’est jamais aussi agressif que quand il s’adresse aux femmes. Souvent infidèle et coutumier des relations toxiques avec ses adultères, Trump n’a pourtant pas manqué d’interventions sexistes depuis qu’il est sous le feu des projecteurs. Certes, on en voit quelques-unes dans The Apprentice, mais n’y avait-il pas moyen d’aller plus loin ?
C’est horrible à écrire mais même si ce viol présenté à l’écran et aussitôt éclipsé par une autre scène décalée n’est tristement qu’un « détail » dans la vie d’un homme coutumier des violences sexuelles et sexistes infligées aux femmes, on est loin du brulot politique avec l’œuvre d’Abassi. En principe, un portrait est censé permettre de nous représenter la vie et la personnalité de la personne visée. A titre de comparaison, si Limonov, également présenté à Cannes, se permet des coupes, il nous donne cependant l’occasion de comprendre qui était ce révolutionnaire russe. Quel message tirer d’un biopic partiel de Trump ?
Enfin ce portrait de départ d’un lapin de trois semaines, transformé par un avocat serpentin, n’est-il pas un peu superficiel ? Ali Abassi élude un peu trop facilement les nombreux échecs de Trump. Certaines anecdotes de son enfance de bad boy, pourtant largement relayées par des ouvrages et médias, dénotent par rapport au portrait assez propret présenté à l’écran. La nièce de Trump raconte les frasques de Trump dans son livre « Comment ma famille a fabriqué l’homme le plus dangereux du monde ». Elle y explique notamment combien le père était néfaste pour le développement du jeune Donald, ce qui n’apparaît qu’à la marge avec The Apprentice. Et pourtant ces révélations ne manquaient pas de piquant, à commencer par l’histoire où Trump se serait battu avec son prof de musique ou encore celle où il aurait jeté des pierres sur un bébé.
Le « roi de la dette », comme il s’appelait lui-même, est pourtant aujourd’hui épinglé pour la surévaluation de son empire immobilier et de nombreuses affaires financières peu reluisantes. La figure du jeune prodigue milliardaire est trop peu écornée par le film d’Abassi. Probablement en deçà de la vie réelle de « l’homme à la tête d’orange », le magnat de l’immobilier et probable 47ème président des USA n’a pas grand-chose à craindre de ce film sympathique mais qui manque de toucher sa cible en plein cœur. Si l’on écorne certes sa facette de self-made-man, vieil adage capitaliste des grandes fortunes, n’y avait-il pas matière à plus d’audace pour dénoncer l’ogre Trump ?
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