Rithy Panh exorcise une nouvelle fois le spectre de la dictature des Khmers rouges avec l’étrange objet filmique Rendez-vous avec Pol Pot. Le plus connu des cinéastes cambodgiens quitte le pur documentaire pour nous offrir une œuvre unique, à la lisière des genres, qui ouvre une fenêtre passionnante (et diablement actuelle) sur le travail de journalisme au sein d’une matrice répressive. La sortie du film en format physique est l’occasion idéale de s’y (re)plonger !

Rendez-vous en terre inconnue

Une journaliste (Irène Jacob), un intellectuel convaincu par la révolution (Grégoire Colin) et un photographe sceptique (Cyril Gueï) se laissent embarquer au Cambodge en 1978, sur invitation des Khmers rouges. Un périple non sans danger qui les mène dans un pays ravagé par la dictature, où ils espèrent pouvoir rencontrer et interviewer Pol Pot, le grand manitou de ces sanglants évènements.

S’il est aisé pour un public occidental d’apposer un visage (et une histoire plus ou moins claire) aux différents noms de tyrans européens et de la Russie soviétique, l’image devient plus floue lorsque l’on s’éloigne du continent. C’est résolument le cas avec Pol Pot, le dictateur derrière les Khmers rouges et Parti communiste du Kampuchéa, dont tout le monde connaît le nom mais pas forcément l’histoire. Surnommé “Frère numéro 1”, il est aussi et surtout responsable du massacre de près de 2 millions de cambodgiens. Un véritable génocide, dont les principales lignes sont narrées dans cet article de Romain Franklin, journaliste de terrain pour Libération.

L'image manquante, encore et toujours

Toujours en quête de son Image manquante, Rithy Panh envoie ici trois regards européens dans l’enfer des Khmers rouges. Et grâce à ces trois entités occidentales – et aux trois regards bien différents qu’ils ramènent du même évènement qui se déroulent devant leurs yeux – Rithy Panh s’en va discourir du rôle crucial du journalisme dans les conflits armés mais aussi de l’impossibilité d’échapper totalement à la doxa imposée par le système en place. Dur en effet de s’émanciper totalement d’un régime qui s’immisce dans le jeu médiatique pour planter son décor et ses figurants, afin de faire tourner son  théâtre propagandiste.

Les maquettes de « L'image manquante » (2013)

Si cela peut paraitre très théorique, Rendez-vous avec Pol Pot ne l’est que conceptuellement. En effet, ce long-métrage décrit certes de l’intérieur l’horreur du Cambodge de ces années-là, mais ne devient jamais un manuel d’histoire poussiéreux ou ennuyant, bien au contraire. Tourné comme un thriller politique, on sent l’étau se nouer autour de ces trois occidentaux et une inéluctable tension nait alors. Tension que couve une violence froide, presque toujours absentée des plans mais que l’on devine constamment en arrière-plan. Une menace sourde, appuyée par un cadre qui étouffe ses personnages dans de constants sur-cadrages. Une longue séquence dans un atelier “créatif” des Khmers rouges témoigne de cette tension que Rithy Panh parvient à instaurer dans son long-métrage grâce à la composition de ses plans et à son montage.

Mieux encore, la beauté de ses plans noyés dans un horizon bouché par de lourds nuages d’orage, la poésie de ce tarmac vide sur lequel patiente inlassablement nos trois lascars, ou encore l’inventivité des maquettes qui se substituent parfois au live action, tout cela fait de Rendez-vous avec Pol Pot une œuvre plastiquement assez dingue. Du cinéma total issu du fertile terreau d’un artiste marqué au fer rouge par l’histoire de son pays, voilà l’essence-même de ce long-métrage à retrouver d’ores et déjà en format physique.

Fiche technique

DVD Zone B (France)
Éditeur : Blaq Out
Durée : 86 min
Date de sortie : 19 novembre 2024

Format vidéo : 576p/25 – 1.33
Bande-son : Français Dolby Digital 5.1 (et 2.0)
Sous-titres : Français

Rendez-vous avec Pol Pot

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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