A sa mort en 1989, Osamu Tezuka, le Dieu du manga, laisse sa plus grande œuvre inachevée : Phoenix, l’Oiseau de Feu. Il y offrait une grande fresque anthologique regroupant des histoires allant du lointain passé aux horizons les plus futuristes. Trente ans plus tard, Shôjirô Nishimi et STUDIO4°C nous livrent Phoenix : Reminiscence of Flower, un long-métrage qui se concentre sur l’une d’entre elles et qui nous révèle le lointain avenir de l’humanité…

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Faire chauffer le moteur sans jamais décoller

L’heure est à la colonie de nouveaux mondes. Romi et George, un couple d’explorateurs, atterrissent sur Eden17, une planète aride et inhospitalière. Ils ont pour but de la coloniser et de la rendre viable sur le long terme. Cependant, tout ne se passe pas comme prévu. Romi se retrouve rapidement seule à accomplir cette tâche, accompagnée uniquement d’un robot domestique et de son enfant à naître, Cain…

PHOENIX: Reminiscence of flower
Face à l'étendue spatiale, Romi prend conscience de sa petite place.

Partant d’un incipit somme toute assez classique, le film va très rapidement prendre des détours et des directions inattendues qui changeront diamétralement le cours des choses. Sans doute trop. Le film se repose sur une structure construite comme une multitude de points d’entrées de différents récits. A chaque fois que l’on pense sortir de la phase d’exposition et voir l’histoire se lancer, le film ellipse brutalement le récit. Avec des sauts dans le temps allant de quelques mois à plusieurs siècles, les cartes sont constamment rebattues. 

Des personnages disparaissent au profit d’autres, des lieux se métamorphosent et les enjeux diffèrent constamment. La répétition du procédé nous perd en tant que spectateur, noyé dans l’immensité de l’espace et du temps. Malheureusement, cette déstabilisation permanente n’est pas totalement assumée. A chaque nouvelle ellipse, le film s’affaiblit dans de longues séquences explicatives, souvent dialoguées afin d’éclaircir la nouvelle situation à un personnage et, in extenso, au spectateur. Une mécanique classique que l’on peut pardonner lorsqu’elle est utilisée à bon escient, sinon de manière limitée. Dans ce cas-ci, sa redondance en appauvrit la force et nuit à l’œuvre en général. Chacune des prémices ainsi nourries finit inlassablement par faner alors que le film détourne son intérêt vers d’autres horizons.

PHOENIX: Reminiscence of flower
Une foule de personnages qui finssent tous par se marcher dessus...

Des images à couper le souffle

En dehors du traitement scénaristique maladroit, le film offre des séquences d’animation d’une qualité rare et possède une force visuelle incontestable. A chaque fois que l’on découvre un nouveau lieu, un nouveau personnage, l’envie d’en savoir plus revient inlassablement. Dès lors qu’on s’aventure dans l’espace, il fait preuve d’une maîtrise du gigantisme en faisant ressentir l’infinie petitesse des personnages par ce qui les entoure. La vie interstellaire y est magnifiée, de la simple planète aux centaines de galaxies. L’animation est fluide (on regrettera cependant de ne pas pouvoir voir plus le Phoenix, un plaisir pour les yeux) et donne le change quand cela est nécessaire, en particulier pour les quelques scènes d’action réussies.

PHOENIX: Reminiscence of flower
Le fameux Phœnix, tout feu, tout flamme.

Esquisser l’infinité en 95 minutes ?

Cependant, la beauté du film ne doit pas faire oublier ses faiblesses. Le réalisateur cherche ainsi autant que faire se peut à nous dépeindre l’univers comme une structure immense. Mais est-ce seulement possible dans les conditions d’un long-métrage à la durée « classique » ? Le manga d’origine et son ambition titanesque s’y est essayé en développant une quinzaine d’histoires et est resté incomplet… Comment réussir ici cet exploit ? D’autres adaptations au cinéma d’œuvres de science-fiction l’ont bien montré, à l’instar de celles de la saga Dune. Il faut du temps pour mettre en place un univers si éloigné, pour s’en approprier les codes. Ici, le film veut en faire trop et manque l’occasion de se laisser aller. D’où la sensation de faire face à une série d’histoires qui ne commencent jamais. Il aurait peut-être été préférable que l’adaptation opère un choix radical en prenant de la distance avec l’œuvre originale pour tenter de déboussoler son public.

PHOENIX: Reminiscence of flower
Romi en stase, perdu oscillant entre deux mondes...

On peut aussi trouver des réponses à ce relatif échec dans son format mixte. En effet, le film existe aussi sous forme de série, intitulée : Eden17. (A retrouver sur Disney+, avec, en sus, une fin alternative). Chaque histoire peut alors être contenue dans un épisode différent et proposer des changements fréquents de paradigmes. Le public français devra encore attendre un peu pour une date de sortie en France, toujours inconnue à ce jour. 

Encore petit fretin dans l'océan du cinéma, je nage entre les classiques et les dernières nouveautés. Parfois armé d'un crayon, parfois d'une caméra, j'observe et j'apprends des gros poissons, de l'antique cœlacanthe bicolore, du grand requin blanc oscarisé et des milliers de sardines si bien conservés.

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