• Testé sur Nintendo Switch.
  • Code transmis par l’éditeur.
  • Joué une douzaine d’heures pour arriver à mi parcours dans l’aventure.
  • Comptez 25-30 heures pour finir l’aventure principale.
  • Captures maison et comparaisons tirées de l’excellente vidéo de Digital Foundry visible ici.
  • J’avais joué et retourné l’épisode Gamecube plusieurs fois avec Ummagumma sur une petite télé cathodique 30 cm qui aura fait toute notre enfance. 

Le nom de Paper Mario La Porté Millénaire évoque pour les ados des années 2000 le souvenir d’une aventure folle et audacieuse. Un pas de côté de Nintendo vis-à-vis de ses franchises phares à l’ADN religieusement répliqué selon les canons du genre. Parfois accusé de conservatisme (et à raison), Nintendo avait avec cet épisode fait taire ses plus farouches critiques. C’est à Intelligent Systems, fondé en 1986 par des membres de Nintendo R&D1 que l’on doit ce titre culte de la Gamecube. Près d’un quart de siècle plus tard, que reste-il de nos amours de jeunesse ?

Du botox au Royaume Champignon

Fait remarquable et signe de l’intérêt porté par Nintendo à la série, ce remaster a été confié au studio original qui avait pensé et conçu le titre dans les années 2000. Un bon signe quand on sait que d’autres jeux ont eu droit à des studios tiers pas toujours aussi chevronnés. Intelligent Sytems reste l’une des deux jambes du petit artisan qui a depuis ses origines su se reposer sur ce studio first party. Ce dernier a été dirigé jusqu’en 1995 par feu Gunpei Yokoi, le père de la croix directionnelle et penseur de nombre de licences et technologies qui ont fait le succès de la firme jusqu’au décès tragique de Gunpei lors d’un accident de voiture. Après Super Paper Mario RPG (lire notre critique) qui a lui aussi eu droit à son remaster sur Switch, tout le monde se doutait que le prochain titre sur la liste serait l’opus Gamecube, autrement dit le meilleur de la saga.

Au rang des nouveautés, le jeu arbore un style voulant rendre hommage au jeu original à la direction artistique en marge des productions de l’époque. Clairement les développeurs se sont appuyé sur le moteur graphique de Paper Mario: The Origami King (2020) qui assumait davantage son style. Au cel-shading initial, les développeurs ont donné un effet de profondeur qui vient s’ajouter aux éléments 2D et au côté carton souple des protagonistes, un peu comme si ces derniers étaient des pantins en papier mâché. La résolution a bien évidemment été revue à la hausse tout comme la colorimétrie nettement plus chaude de ce remaster, tout particulièrement sur modèle Oled. Ce choix artistique divisera les fans plus assidus du plombier moustachu. Ce qu’on gagne en chaleur, on le perd parfois en harmonie avec des associations très (trop ?) tranchées voire de mauvais goût par endroits. Le jeu aurait été magnifié s’il avait profité de la 3D relief de la 3DS, console au succès en demi-teinte et qui signe l’abandon de cette tech pourtant éblouissante une fois maîtrisée. 

Paradoxalement, la netteté et les contrastes augmentés donnent parfois l'impression que les éléments du décor s’intègrent mal à l'image, surtout en extérieur !
Sur Gamecube (à gauche), les nuages rappelaient davantage The Legend of Zelda: The Wind Waker et les collines en arrière-plan le monde onirique de Yoshi Island.

Fini le côté délavé et les teintes brunes de l’épisode Gamecube et de ces bons vieux tubes cathodiques, la version Switch est particulièrement bariolée et les éléments du décor comme les textures ont tous été repensés pour une direction artistique parfois plus proche de la 3D que de l’effet papier. Globalement les intérieurs sont sans commune mesure en termes de détails et de précision et les cinématiques magnifiques. Cependant on perd un peu du charme du jeu original qui ne faisait par preuve de la même générosité technique et qui devait user d’artifices pour représenter les paysages et personnages du jeu. Par exemple, les nuages et les montagnes chères au royaume champignon perdent cet effet dessiné et minimaliste pour une approche plus conventionnelle, sinon générique. On sent que Paper Mario Gamecube était sorti deux ans après l’incroyable Wind Waker dont les nuages généreux n’ont jamais quitté mon imaginaire. Si on pousse un peu le trait, ce remaster semble un peu le cul entre deux chaises, entre son matériau d’origine et le style choisi par Origami King, là où Super Mario RPG m’avait semblé plus à l’aise sur ses choix artistiques propres.

La Porte Millénaire, un modèle de cel-shading ?

On pourrait presque parler d’âge d’or du cel-shading depuis Zelda The Wind Waker qui avait fait l’effet d’une bombe lors de sa présentation à l’E3 2002. Suivront ensuite des titres comme l’incroyable Viewtiful Joe (2003), le déluré Killer 7 (2005) ou le très sympathique XIII (2003), comme si la vague du cel-shading lancée par Jet Set Radio (2000) était devenue une lame de fond inarrêtable. Cela paraîtra peut-être bête pour nos plus jeunes lecteurs mais, à l’époque, il s’agissait d’une véritable révolution artistique pour le média avec tout ce que cela impliquait en termes de réactions du public. Les détracteurs du cel-shading étaient aussi nombreux que ses fervents défenseurs… Un débat qui semble aujourd’hui totalement stérile là où le jeu vidéo indépendant est venu exploser toutes les barrières conceptuelles et graphiques d’hier. Souvenez-vous cet amour du polygone et ses éternelles promesse de réalisme dont on semble enfin s’éloigner aujourd’hui, comme si la 2D et 3D pouvaient enfin coexister. (Serons-nous un jour libéré de ces maudits téraflops ?)

Le succès de Zelda The Wind Waker a donné ses lettres de noblesse au cel-shading ! Nul doute que le jeu aura (encore) prochainement droit à un remaster. Pour la Switch 2 ?
Quatre jeux, quatre ambiances graphiques complètement folles !

Concernant la gestion des lumières, des ombres comme des réflexions, la version Switch n’a pas à rougir de l’original qu’elle détrône complètement. Ce remaster est bien plus dynamique et vivant de ce côté-là. Pour autant, ce gap technique ne se fait pas sans conséquences. Fini le 60 fps et le jeu devra se contenter d’un 30 fps heureusement constant. Cachez-moi ces sautes de framerate que je ne saurais voir, le jeu ne bronche pas une seconde et ne bouge pas d’un iota en termes de fluidité. Cette maigre concession a, soyons franc un instant, des conséquences (quasi) imperceptibles sur un jeu de cet acabit. Certes on n’est pas dans Street Fighter, mais il m’a semblé que le timing des combats était trop généreux. Les parades m’ont semblé plus permissives et faciles à réaliser que dans mes vieux souvenirs où je gardais en mémoire un jeu millimétré et parfois rude avec le joueur.

Les effets de lumière et de réflexion rendent bien plus naturelles certaines séquences.
Bowser et Mario, une lutte éternelle pour les beaux yeux de la princesse Peach ?

Un jeu millénaire ?

Si la forme du jeu a fait l’objet d’un soin remarquable, malgré les quelques points noirs relevés plus haut, Intelligent Systems n’a pas osé revoir en profondeur le gamedesign de Paper Mario : La Porte Millénaire, sans quoi le jeu aurait été un véritable remake plutôt qu’un simple remaster. Et c’est sur ce point que votre appréciation différera selon vos attentes. Près de vingt ans après la sortie Gamecube, n’était-on pas en droit d’avoir un remake intégral quand d’autres titres donnent lieu à des remasters de moins en moins espacés ? (Coucou Sony !) A moins que Nintendo n’ait pas osé toucher au matériau brut sans froisser les fans ?

Mon acolythe Koopa pris dans la mêlée... Dieu reconnaîtra les siens !

Exercice périlleux il est vrai, mais l’auteur de ses lignes n’auraient pas été contre dynamiser un peu plus la formule. Si dans les années 2000 Paper Mario cassait le modèle du tour par tour en injectant de l’interactivité dans ses combats, de l’eau a depuis coulé sous les ponts chez la concurrence comme chez Nintendo à qui l’on doit la saga Mario & Luigi. Sorti en 2003, Supestar Saga était déjà plus vif et interactif dans ses possibilités de gameplay que Paper Mario. Faire une synthèse entre le jeu d’AlphaDream et celui d’Intelligent Systems aurait pu donner un peu de peps à l’ensemble. Pour les vieux briscards des RPG, la première dizaine d’heures est trop timide en termes de bestiaire comme de possibilités de gameplay dont les nouveautés sont distillées au compte-goutte. L’entrée en scène des batailles aurait peut-être été plus agréable en accélérant les combats. Sur la première partie du jeu, on est trop souvent confronté aux mêmes ennemis donc aux mêmes parades. Même si le jeu reste plaisant, les sessions de courtes durées sont plus recommandées pour éviter le côté répétitif des escarmouches.

Les célèbres paparazzis du royaume Champignon !

Le vilain petit canard de Shigeru ?

Si Paper Mario La Porte Millénaire a autant marqué les esprits, c’est d’abord pour son ton irrévérencieux qu’on retrouve tel quel dans cette version Switch. Comme en 2000, les textes n’ont a priori pas bougé d’un poil comme l’exploration et le déroulement du titre découpé entre les passages avec Mario, ceux avec ses improbables acolytes inédits comme ses figures Peach et Bowser. C’est la narration du jeu qui le rend si unique grâce à un mélange d’aventure et de second degré où les personnages n’hésitent pas à briser le quatrième mur. La singularité de Paper Mario La Porte Millénaire, c’est de révéler l’envers du décor qui peut littéralement tomber à chaque instant. On peut également se faufiler de profil entre de petits interstices comme Mario est aussi fin qu’une feuille de papier. C’est autant une idée ludique qu’une subversion du monde de Nintendo, comme si derrière ses pixels, tous ce joli monde avait sa propre vie indépendante du joueur. A ce titre, le jeu est un exemple de direction artistique au service de la narration.

Les sept partenaires de route qu’on rencontre sont désormais interchangeables à tout moment et ils viennent varier les situations de combats comme la résolution d’énigmes. Par ailleurs ils sont tous totalement inédits dans l’univers de Nintendo, même s’ils ont été blacklistés depuis. Il faut comprendre que La Porte Millénaire est une anomalie dans le paysage de Nintendo en ce qui concerne l’écriture complexe et à double lecture du scénario. Depuis le passage de flambeau de la franchise à Shigeru Myamoto, la saga avait largement perdu de sa superbe et de son cachet, le maitre et génie indéboulonnable de Nintendo arguant que « si un jeu fonctionne très bien sans scénario, ce dernier n’a aucune raison d’exister », soit une philosophie aux antipodes de l’épisode N64 et Gamecube. Une démarche qu’on comprend volontiers mais qui fait de La Porte Millénaire l’exception qui confirme la règle.

Les expressions des personnages changent en une fraction de seconde et tranchent avec le côté Peace and Love des jeux Nintendo !

Peach and Love

Au passage, anecdote oblige et plutôt osée à l’époque, le personnage secondaire de Viviane fut l’un des premiers personnages transgenres officialisés par Nintendo après ce bon vieux Birdo. Le jeu se permet également beaucoup de libertés dans sa façon de flirter entre les registres de langues. Certains personnages n’hésitent pas à vous traiter d’abruti voire d’imbécile. D’ici quelques années, qui sait, peut-être que Mario lâchera des « Fuck » à chaque saut entre deux TikTok ! La Porte Millénaire est aussi bien plus libéré quant à son rapport à la sexualité. Un tabou pour Nintendo qui semble ici s’amuser du célibat de Mario comme des désirs du royaume Champignon. C’est l’un des très rares jeux Nintendo de l’époque où des personnages font des allusions sexuelles à peine voilées. Idem pour l’IA éprise de la princesse Peach, ce qui donne lieu à des discussions ubuesques sur la nature de l’amour. Il faudra attendre le film Super Mario Bros pour que la firme nipponne soit un peu moins constipée pour singer ses amourettes refoulées de ses personnages. Encore rétif au changement de ce type sur ses licences reines, Nintendo osera-t-il développer la relation entre Zelda et Link et dont on flaire les prémisses depuis Breath Of The Wild ?

Divisé en chapitres, l’intrigue se laisse toujours savourer même si le côté bavard est parfois fatiguant et aurait pu être atténué si Nintendo avait pensé à ajuster la vitesse des dialogues. Le chapitre des catcheurs reprend un schéma interminable où les combats s’enchaînent avec les mêmes répliques qui reviennent à chaque combat, ce qui fatiguera davantage le joueur moderne ! Ce côté agaçant participe certes du charme de l’épisode mais un peu de souplesse n’aurait pas été de refus pour, à l’instar des combats, donner un peu de vivacité et de fluidité à l’ensemble. Au rang des nouveautés, Nintendo se contente globalement du fan service avec un système de badges rétros permettant de réécouter les musiques et bruitages Gamecube, des concept arts et une playlist à débloquer en trouvant des items sur la map.

Dame Cumulia, simili Castafiore version Nintendo, est rapidement séduite par le charme de « dandy » de Mario ! Un vrai bourreau des cœurs !

Le reste des ajouts vient démocratiser la formule avec une souris mauve qui pourra nous donner des indices et Toad pour nous coacher en combat. On appréciera enfin les tuyaux de téléportation pour éviter les aller-retours sur la carte, même si ces derniers ne disparaissent pas complètement. Sur ce point d’ailleurs, on sent le gamedesign quelque peu engoncé par les limitations techniques de la Gamecube. L’exploration est à l’instar des vieux jeux cloisonnée par « écran », à l’image des vieux jeux de l’époque.  

Plus vive, plus fine et plus moderne, la refonte graphique reste très satisfaisante quoiqu’un peu plus générique… Aussi tous les choix artistiques ne sont peut-être pas heureux même si notre imaginaire cultive parfois des souvenirs trompeurs pour ne pas dire carrément réacs. Paper Mario évolue et reste une formidable porte d’entrée vers le côté obscur de Nintendo, celui où les personnages de Nintendo ont des rêves et des désirs ! Le cauchemar de Shigeru ? Académique dans son gameplay, l’exploration, elle, s’affranchit de tous les codes, jonglant de chapitre en chapitre d’un concept de gameplay à un autre. Certes on aurait aimé un remake de fond en comble, mais ce remaster reste de très bonne facture. Un jeu culte à redécouvrir même si les affres du temps viennent rappeler l’âge d’une formule qui a peu évolué depuis Super Mario RPG. La comparaison entre La Porte Millénaire et ses suites dispensables nous rappelle la régression de la formule RPG. Mario et Luigi : L'Épopée Fraternelle viendra-t-il relever la barre et honorer ses aïeux ? Avec ce remaster, la porte reste ouverte…

Pour
  • Refonte propre et chatoyante...
  • FPS constant...
  • Personnages marrants...
  • Gameplay efficace
  • Animations réussies
  • Retrouver un jeu culte de la Gamecube
  • Des idées à foison
  • Ecriture atypique
  • Les passages avec Peach sont truculents
  • Contrôler ce bon vieux Bowser déclassé
  • Le quatrième mur
Contre
  • ... Très (trop ?) bariolée
  • ... mais capé à 30 FPS
  • ... mais trop bavards parfois
  • DA plus générique ?
  • Bestiaire trop long à se dévoiler
  • Aller retours encore nombreux
  • Gamedesign rattrapé par les années
  • Un peu de peps n'aurait pas été de refus
  • Pourquoi pas un remake ?

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

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Ummagumma
8 jours

Tant de bons souvenirs devant la petite télévision à jouer ensemble !

J’avais tellement apprécié ce jeu à l’époque. Par contre je trouve ça dingue qu’il ressorte uniquement en 30 FPS.

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