Après L’Inconnu du lac, Alain Guiraudie nous revient avec un thriller érotique où se mêlent habilement désirs brûlants et innombrables non-dits. Perdu entre campagne reculée, désirs queers et curé priapique, Miséricorde était présenté dans la section Third Kind de la 23e édition du NIFFF et il vient tout juste de sortir en salles. Et devinez quoi : il s’agit peut-être de l’un des meilleurs films de l’année !

NIFFF 2024

Rififi au village

Jérémy (Félix Kysyl) retourne dans son village natal pour rendre ses derniers hommages à son ancien patron décédé. Sa veuve (Catherine Frot) lui propose de l’héberger quelques jours, pour qu’il puisse faire le tour de ses anciennes connaissances du coin. Pourtant, rapidement, un tissu de non-dits, de mensonges et de désirs va se nouer autour de Jérémy, l’entrainant lui et toute la communauté rurale locale dans un vortex de violence.

Alain Guiraudie est un nom qui a explosé grâce à L’Inconnu du lac en 2013, un drame queer et cru largement remarqué lors de sa sortie. Il n’en était pourtant pas à son coup d’essai, notamment avec Ce vieux rêve qui bouge (2001) – déjà queer, déjà érotique – ou plus récemment avec Rester vertical (2016). Et il y a fort à parier que son prochain film Miséricorde, présenté en avant-première au NIFFF et désormais visible en salles, fera également parler de lui pour la proposition forte, résolument absurde et esthétique qu’il propose.

"L'Inconnu du Lac" (2013)

Comique de répétition

Miséricorde débute comme un drame rural et intime, centré sur la figure de Jérémy, cet ancien campagnard qui a participé à la désertification de leur village en suivant l’exode rural inexorable en direction des plus grandes villes. Et très rapidement, Guiraudie va signifier avec sa caméra une défiance ambivalente autour de cette figure d’arraché, mi-traitre, mi-allié, que tout le monde semble autant désirer que détester.

Et une forme de répétition va irrémédiablement se mettre en place tandis qu’une petite galerie de personnages (la veuve, son fils, un ancien ami, un curé et un duo de flics) va commencer à graviter autour du jeune homme. Ces personnages représentent tous une forme de délabrement – la vieillesse, le refoulement moral, l’attachement à une religion déréalisée, la violence – à mettre en perspective avec les ruines de leur propre village, en passe (lui aussi) de mourir. Cette boucle dans laquelle les personnages semblent piégés, cet effet de répétition dans les rencontres, dans les activités et les interactions participent autant d’un comique de rupture de ton assez jouissif que de l’instauration d’un rythme très particulier, concentrique et s’emballant chaque tour un peu plus.

Piège de désirs

Miséricorde se construit comme un véritable piège autour de ce personnage central qui peine à masquer ses sentiments et les ondes sismiques de ses désirs, bien peu en phases avec la morale de ce patelin rural et conservateur. Construit de révélation en révélation, bondissant de surprises visuelle en surprise visuelle, Miséricorde se bâtit comme un étrange conte pour adultes, à la photographie légèrement déréalisée et maculé par ses pulsions érotiques qui ne cèdent (presque) jamais à l’explicite.

Un As Bestas queer et décalé, où les menaces poignent jamais là où on les attend. Alors par pitié, allez-y vierge du plus d’informations possibles, ne vous fiez pas à l’affiche pas forcément très attirante et surtout – surtout ! – ne mangez pas d’omelette aux champignons avant votre séance… Une belle surprise découverte aux lisières des genres dans la 23e édition du NIFFF, à dévorer désormais en salles !

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notifier de
guest
0 Commentaires
le plus ancien
le plus récent le plus populaire
Commentaires sur Inline
Voir tous vos commentaires
FrançaisfrFrançaisFrançais
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x