Les Nouveaux Sauvages avait été l’un des meilleurs longs-métrages de l’hiver 2015 : entre civilisation et barbarie, la ligne est bien fine et ce film à sketchs nous l’avait bien montré. Son réalisateur argentin Damián Szifrón revient sur le devant de la scène avec son film de commande américain, Misanthrope (ou de son horrible titre anglais : To Catch a Killer). Presque 10 ans plus tard, parvient-il à transformer l’essai ?
5, 4, 3, 2, 1... Sniper !
Veille du jour de l’an. Baltimore. Le ciel pulse déjà des éclats des feux d’artifices, lancés par des fêtards précoces. À chaque building son ambiance. Des retardataires encore coincés dans l’ascenseur au rooftop enflammé, en passant par les appartements familiaux et les penthouses les plus exubérants, tous s’accordent pour entonner en cœur le décompte des dernières secondes de l’année. 5… 4… 3… 2… 1… Sauf qu’au milieu des hordes festives se terre un solitaire, un tueur à la lunette aiguisée : 29 fois, il titillera la gâchette de son sniper. 29 fois il fera mouche.
Présente sur les lieux, la jeune enquêtrice Eleanor Falco (Shailene Woodley, aussi productrice) se retrouve bientôt propulsée dans cette affaire. Flairant en elle une flic à la hauteur, le responsable de l’affaire au FBI Geoffrey Lammark (Ben Mendelsohn) la nomme agente de liaison. Ils se lancent ensemble dans l’affaire la plus sombre et la plus meurtrière de leur carrière.
Film de l'arrière-plan
Habilement, Szifrón nous délaie dans l’arrière-plan (ou carrément dans l’hors-champ) de son long-métrage l’abrutissement constant de nos sociétés libérales. Totalitarisme de la publicité qui noie ses personnages dans des décors surréalistes, habiles faux placements de produits, absurdités en tous genres (à l’instar des poubelles de recyclage finalement toutes versées pêle-mêle dans une immense décharge à ciel ouvert), horripilantes guerres politiques au sein des institutions fédérales… L’enquête, peu banale mais traitée de manière classique, cuit son spectateur dans ce jus d’inepties, constant mais discret, passé en douce comme un message subliminal susurré à son oreille.
Ainsi, si l’empathie pour ce couple d’enquêteurs formé par Lammark et Falco est quasi-immédiate, et permet de construire un récit monté avec des sommets de tension hallucinants, en parallèle nait chez le spectateur un trouble. Plus les minutes passent, plus les revendications du tueur – exposées dans le dernier tiers du film – paraissent tangibles. Pire, malgré l’horreur de ses actes, il apparait comme l’une des rares personnes censées dépeintes dans le long-métrage, refusant l’abrutissement capitaliste, fuyant les hordes consuméristes, se protégeant de la fureur des villes.
Misanthropie de qualité
Bref, Szifrón construit un thriller classique dans sa forme, extrêmement bien photographié et avec l’un des antagonistes les plus réussis de ces dernières années. On pourra regretter un arc narratif débuté avec le personnage de Falco, inutile et presque caricatural, mais qu’heureusement il ne développera pas. Sinon, gardons qu’il s’inscrit largement dans l’héritage de Seven et qu’il s’agit sans le moindre doute du meilleur thriller vu au cinéma depuis un bon bout de temps.
Subtil, parfois glaçant, hautement immersif, Misanthrope (avec un o barré sur les affiches parce que quand même, les bons thrillers se doivent d’être scandinaves) donne envie de découvrir les deux premiers films argentins du réalisateur, avant de (re)découvrir Les Nouveaux Sauvages. À visionner (encore pour quelques temps) au cinéma.
Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.
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