Après l’horrible tentative de 2017, les rumeurs sur l’adaptation de la Tour Sombre vont bon train et pour cause ! Mike Flanagan est maître d’œuvre et le projet semble sur le point d’être lancé sur les rails, du moins dès que les tournages reprendront suite à la grève  à Hollywood. Un petit retour sur la carrière du bonhomme paraissait judicieux, pour voir si oui ou non on a raison d’avoir hâte !

L'histoire de la Tour

« La Tour Sombre est le Jupiter du système solaire de mon imagination »

La Tour Sombre, c’est d’abord un poème de Robert Browning, « Le chevalier Roland s’en vint à la Tour noire ». Inspiration suffisante à Stephen King pour entamer, tandis qu’il est encore étudiant, un récit qu’il nommera Le Pistolero et qui prend racine par cette ligne bien connue : « L’homme en noir fuyait à travers le désert, et le pistolero le suivait ». Un roman court, nerveux, longtemps laissé sans suite avant que King ne l’extraie de ses brouillons pour en faire un livre qui sera publié (et rapidement épuisé) une dizaine d’années plus tard. Entre temps et jusqu’à aujourd’hui, La Tour Sombre, composée de 8 tomes (si l’on compte la Clé des Vents, sorti en dernier mais s’intercalant en réalité au milieu de la Saga) pour plus de 30 millions d’exemplaires vendus, est considérée par King comme « La Jupiter du Système solaire de mon imagination ». Une œuvre dantesque, mêlant SF, western postapocalyptique et séquences méta absolument hallucinantes, basé sur l’histoire d’un homme : Roland de Gilead, le dernier des pistoleros.

La Tour Sombre par Flanagan

Si l’on peut utiliser tous les superlatifs pour qualifier l’œuvre littéraire de King (d’ailleurs décortiquées dans les géniaux épisodes podcast de La 19e palabre, à écouter après la lecture), les éloges tarissent lorsqu’il est question des adaptations cinématographiques. Véritable chaos de production, les droits de La Tour Sombre passent de mains en mains, entre différents réalisateurs (J.J. Abrams, Ron Howard) et plusieurs studios (Universal, Warner puis Sony). Finalement, un film sortira en 2017 avec le danois Nikolaj Arcel aux manettes et Idris Elba et Matthew McConaughey au casting. Un véritable four autant critique que commercial, pour un long-métrage ultra plat d’à peine une heure trente que tout le monde a déjà oublié (ou du moins on vous le souhaite !).

Flanagan, le dernier pistolero ?

Pourtant, depuis quelques temps, Mike Flanagan évoque le projet d’adapter La Tour Sombre pour Amazon sous forme de série. Lui qui a participé aux réussites en terme d’horreur intime avec ses séries Netflix (The Haunting of Hill House, The Haunting of Bly Manor ou Sermons de minuit) mais qui a également su complètement se planter pour la même plateforme (The Midnight Club) serait donc le maître d’œuvre du gargantuesque projet adapté de Stephen King. S’il n’est pas lieu ici d’avancer les derniers potins en provenance d’Hollywood ou de faire de la critique-fiction d’une œuvre même pas mise en boîte, il est tout à fait possible d’arpenter la filmographie de Flanagan en essayant de deviner, derrière chaque œuvre, les qualités potentielles qu’il pourrait mettre à profit pour ce projet. Voici donc un tour d’horizon non exhaustif des films et séries les plus marquants du bonhomme…

Oculus (2013)

Après plusieurs films étudiants et un premier long-métrage en 2011 (Absentia), Flanagan réalise Oculus. Mettant en scène une Karen Gillan certaine qu’un miroir est responsable de la mort de ses parents, le film est produit par Blumhouse et tourne en festival avant d’atterrir en DTV en 2015. Un film en demi-teinte, pas exempt de défauts, mais mettant déjà en scène cette horreur sensible qui fera la patte de Flanagan dans ses futures productions. Exit les gros monstres plein cadre et la succession de jump scares à outrance, Oculus propose plutôt la sensation d’une présence dérangeante au travers de son histoire de miroir. Le long-métrage n’est pas pour autant absous de visions horrifiques perturbantes, notamment une scène liée à une pomme qui a su, à l’époque, taper dans l’œil d’un certain… Stephen King !

« I saw a screener of OCULUS and loved it. Very scary. I may never eat an apple again.»

Flanagan signera ensuite un thriller horrifique, Pas un bruit, avec Kate Siegel en rôle principal (elle jouait déjà un rôle secondaire dans Oculus). Elle deviendra par le même temps l’une de ses actrices fétiches et également sa femme… Bref, passons encore sur le thriller horrifique (oubliable) Ne t’endors pas et sur son préquelle Ouija : Les Origines, pour arriver à Jessie en 2017.

Jessie (2017)

Adapté du roman éponyme de King, Jessie propose une histoire dénuée (ou presque) de tout fantastique… Rejoignant leur maison de campagne pour passer un weekend en amoureux, Gérald veut pimenter leur vie sexuelle actuellement à la dérive. Sa femme Jessie (Carla Gugino) se plie à ses fantasmes, non sans ressentir une vive gêne, et tandis qu’il s’abandonne à l’excitation chimique de deux pilules de viagra avalées à la hâte, il attache sa femme au lit tout en l’exhortant d’appeler à l’aide. De plus en plus mal à l’aise face au simulacre de viol qu’il veut ainsi mettre en scène, elle lui demande d’arrêter et de la détacher. Une violente dispute éclate, promptement stoppée net par l’effondrement net de Gérald : crise cardiaque foudroyante. Jessie se retrouve ainsi ligotée à son lit, dans leur maison de campagne isolée avec le cadavre de son mari à ses pieds. Un second cauchemar débute alors…

Si Jessie version papier offre des scènes d’auto-mutilation à peine soutenables, le film ne démérite pas. Il ne se hisse clairement pas dans les sommets d’effroi du roman – un King décontenançant par son absence quasi-totale de fantastique – mais on sent Flanagan dans son élément. Cette horreur insidieuse, un personnage de femme torturée, une psychologisation importante des personnages et cette sobriété qui traverse tout le film. Malheureusement, côté esthétique, on est plus proche du téléfilm que de l’œuvre grandiose, mais ce n’est pas pour autant que ça ne vaille pas le coup d’œil !

Côté Tour Sombre, Flanagan pourra sans peine tirer de ce Jessie sa capacité à créer des personnages féminins forts (on pense évidemment au personnage de Susannah, mais on pourrait également évoquer Susan…). De plus, s’être frotté au King et avoir montré qu’il en connaissait les codes seront deux autres qualités à mettre à son CV ! En effet, La Tour Sombre est construite comme l’œuvre clé de l’écrivain du Maine, reliant en quelques sortes tous ses romans les plus importants (qu’il s’agisse de simples easter eggs à des personnages entiers transposés d’un univers à l’autre).

The Haunting (2018)

« La Maison du Diable » (1963)

Dès 2018, juste après son Jessie pour Netflix, Flanagan débute sa série anthologique The Haunting… Chaque saison représentera une totale nouvelle conformation, de nouveaux personnages et une nouvelle histoire, mais toujours centrée autour de la thématique de la maison hantée. Évidemment inspiré par Shirley Jackson et son bouquin La Maison hantée (voyez La Maison du diable, film de Robert Wise adapté de ce roman), on peut y tirer un nouveau parallèle avec l’univers Kingien.

« The Haunting of Hill House »

En effet, la mini-série Rose Red est elle aussi tirée du roman de Jackson, réalisée par Craig R. Baxley (2002) est scénarisée par le King en personne. En quelque sorte, avec son The Haunting, Flanagan marche à nouveau dans les traces du conteur américain… Mais pour le coup, pas beaucoup de points communs avec La Tour Sombre. L’horreur est utilisée par Flanagan dans un univers entièrement réaliste, par touches plutôt discrètes, et fouille ainsi la psychologie de ses personnages. Tout cela reste bien loin d’un western post-apocalyptique tel que la Tour Sombre, où les créatures truculentes foisonnent !

« The Haunting of Bly Manor »

Toutefois, la qualité la plus importante dont fait preuve Flanagan dans The Hauting est peut-être sa capacité à faire vivre le passé des personnages. En effet, dans la Tour Sombre, les flashbacks sont légion ! Entre la formation de pistolero, ses amis d’enfance ou son grand amour, c’est du passé que King les fait émerger dans le roman. Une maîtrise de la narration en flashback (ô combien périlleuse) semble donc nécessaire en vue d’une future adaptation… À moins qu’au scénario Flanagan ne fasse le choix (peut-être judicieux) d’élaguer une partie de ces très nombreux retours en arrière.

Doctor Sleep (2019)

Roman qui a valu une brève venue de King sur le continent européen pour sa promotion (fait rarissime !), la suite de Shining s’est retrouvée porté à l’écran par Mike Flanagan. L’écrivain participera à la production du film et il dira de lui qu’il « expie » l’œuvre originelle de Stanley Kubrick… King n’était en effet pas fan de l’adaptation du papa de 2001 : L’Odyssée de l’espace, où Jack Torrance (Jack Nicholson) se trouvait plus en proie à une simple folie meurtrière qu’à un alcoolisme incontrôlé, contrairement au personnage dépeint dans le bouquin.

Doctor Sleep donc, un film qui prend son temps (il existe en plus une version longue, parait-il), pose son intrigue, fouille ses personnages pour nous offrir un Danny adulte (Ewan McGregor), luttant pour rester sobre (sensation que King ne connait que trop bien puisqu’entre 1978 et 1986 il était accroc aux drogues dures et à l’alcool !). Malheureusement pour ce pauvre Danny, une série de « vampires » croisent sa route, bien décidés à lui sucer son shining (sa capacité de médium). Très inégal, il a l’audace de s’attaquer au King à la racine et de tenter une relecture culottée de Shining (ou une resucée mercantile, c’est selon le point de vue). Trop propret, Doctor Sleep n’est toutefois pas dénué d’intérêt, et si l’on devait tirer une qualité flanagienne qui lui serait utile pour une adaptation de La Tour Sombre, c’est peut-être sa capacité à fouiller dans le mythe Kingien en profondeur et de parvenir à porter à l’écran une large galerie de personnages… Qualité indispensable puisqu’outre Roland, la Tour Sombre fait intervenir un nombre important de protagonistes : son ka-tet (sa communauté, pour définir le terme hâtivement), une bonne tripotée d’alliés et tout autant d’antagonistes, bon nombre de personnages du passé également…

Sermons de minuit (2021)

Après les films, Flanagan revient en série pour le compte de Netflix : il se penche sur une petite communauté insulaire, désœuvrée, soudainement motivée par l’arrivée d’un nouveau prêtre bien fringant. Mais ce vernis d’homme d’Eglise parfait laisse entrevoir des failles profondes, et de multiples disparitions ainsi que d’inquiétants évènements ne tardent pas à troubler la quiétude de l’île.

Mini-série Netflix à nouveau, Sermons de minuit s’inscrit après la géniale The Third Day (2020). Lovecraftienne, insulaire également, elle a tout pour écraser sa rivale de l’écurie Netflix, et pourtant… Si la mise en scène est y moins foudroyante, Flanagan parvient à pondre une histoire passionnante et qui pourrait être une adaptation de King par excellence : les anciens démons de l’alcoolisme qui guettent, une petite communauté d’un pan d’une Amérique paupérisée, la remise en cause de la foi, etc. Bref, tous les ingrédients sont là pour une adaptation kingienne propre en ordre, qui n’en est finalement pas officiellement une.

Et des Sermons de Minuit, on peut tirer la capacité qu’a Flanagan à faire vivre une communauté de personnages et de faire apparaitre à l’écran les influences qu’ont les différents personnages les uns par rapport aux autres. Un prérequis évidemment nécessaire pour parvenir à adapter La Tour Sombre, univers constamment mouvant où les morales vacillent ne laissant jamais place à un manichéisme établi. Le thème religieux (et la remise en doute de la foi) manipulé par Flanagan aura également son importance lorsqu’il s’agira d’adapter le cycle kingien puisque traversant bon nombre de ses bouquins : le personnage du père Donald Callahan (apparaissant dans Salem et dans la Tour), Mère Abigaël dans Le Fléau, la foi du gamin de Désolation

The Midnight Club (2022)

Dernière production et l’une des pires, sur laquelle nous n’allons par ailleurs pas nous attarder. Toujours pour Netflix, toujours en mini-série, toujours en horreur, la bonne idée de The Midnight Club était de proposer des histoires de frissons racontées par des gamins enfermés dans un orphelinat. La mauvaise, d’en faire une série interminable, franchement pas passionnante, assez plate visuellement et mielleuse au possible. Adaptant Christopher Pike (on le surnomme « le Stephen King adolescent », comme quoi Flanagan n’en est jamais vraiment loin), The Midnight Club est un four complet.

Cependant, avant de conclure, il reste à évoquer quelques points noirs au CV de Flanagan, notamment la capacité à faire vivre à l’écran les multiples bestioles que nécessitent un récit comme La Tour Sombre. En effet, avant d’adapter brillamment Le Seigneur des Anneaux, Peter Jackson était passé par Braindead et Bad Tastedeux sommets d’horreur gore. Une école salutaire pour laisser éclore à l’image les multiples créatures de l’œuvre de Tolkien, sans passer par le tout numérique…

« Braindead » (1992)

Et pour la Tour Sombre, le défi est de taille ! Entre les pures créatures (les homarstruosités par exemple) et les robots/créatures mécaniques, le spectre d’effets à manier pour adapter correctement La Tour Sombre semble considérable. Si Flanagan s’est reposé presque uniquement sur des effets numériques dans ses productions précédentes, gageons qu’il fasse le choix de l’hybridation entre effets pratiques et CGI pour son projet de la Tour Sombre, à l’instar du travail réalisé pour l’intéressante adaptation de Dongons et Dragons un peu plus tôt cette année.

« La Chute de la Maison Usher » par Mike Flanagan, prochainement sur Netflix

En attendant La Chute de la Maison Usher (une adaptation de Poe, après Shirley Jackson et King) disponible dès le 12 octobre, nous avons désormais fait le tour des œuvres marquantes de Flanagan et en quoi il pourrait s’en sortir dans l’adaptation du mastodonte littéraire. La lueur d’espoir de voir La Tour Sombre décemment adaptée persiste donc. Et en attendant, « que vos journées soient longues et vos nuits plaisantes ».

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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