Après Lastman et Crisis Jung, Jérémie Périn s’aventure sur le terrain de la SF pur jus avec Mars Express, présenté en compétition au festival d’Annecy. En l’an 2200, Aline, détective téméraire prête à tout pour arriver à ses fins et Carlos, son acolyte resuscité grâce à son assurance vie, forment un duo de choc. En mission pour capturer une célèbre hackeuse, l’enquête bascule vers l’inconnu au gré des révélations.
Mars Express débute par une séquence d’ouverture mémorable où le spectateur ne sait plus vraiment où donner de la tête tellement le tempo est maîtrisé. Plutôt que de nous servir un schéma narratif avec le bon, la bête et le truand, Jérémie Périn a préféré développer une palette de personnages tous plus charismatiques les uns que les autres, quitte à dérouter le spectateur en les éliminant un par un comme de vieux poissons pourris.
Entouré des équipes d’animation du studio JSBC, l’équipe de Lastman s’est reconstituée autour de cet ambitieux projet destiné à bousculer le grand public comme les férus de SF énervée. A l’écriture, on retrouve ainsi Laurent Sarfati et c’est Philippe Montahaye qui a composé les musiques du film. Ce n’est donc pas anodin qu’on retrouve un humour pince-sans-rire que ne renierait pas Richard Aldana.
La première chose qui frappe avec Mars Express, c’est sa générosité et son inventivité qui sait renouveler les vieux mythes de la SF sans jamais virer à l’hommage indigeste. Qu’il s’agisse des fondamentaux, comme les lois d’Azimov transformées en injonctions cybernétiques, au théâtre des giga-corporations qui se partagent le monde comme des cases de Monopoly, Mars Express déploie en quelques instants à peine un univers qui a bien des choses à dire.
Si la SF se dit prédictive, les crises cycliques et toujours plus rapprochées révèlent un néolibéralisme à tête(s) d’hydre et à l’appétit vorace que rien ne semble arrêter. Insatiable, il confine souvent les productions contemporaines à un futur plus si lointain et qui ne surprend guère plus personne. Comment pourrait-il en être autrement avec l’abime qui déchire aujourd’hui privilégiés et exploités ? Paradoxe de la SF, que reste-t-il à raconter quand on a déjà sauté à pieds joints dans le précipice du grand Capital et de la science sans conscience ?
« Grâce à la science et à la technologie, nous pourrons rencontrer des races étrangères, et ces étrangers, ce sera nous. »
Norman Spinrad, Les Neuromantiques (1986)
En adoptant une perspective absolutiste où les travers du marché auront su irriguer jusqu’aux recoins les plus intimes de l’être, Mars Express réussit son pari d’interpeller son spectateur, désarçonné par la vitesse du récit et ses références revisitées, à l’instar de ses augmentés qui s’améliorent sans sourciller, comme de simples mises à jour logicielles du dernier iPhone 14. En cela, ce film d’aventure Rock ‘n’ roll est un succès et non des moindres, à l’heure où chaque drame efface l’autre, dans l’indifférence générale et au seul bénéfice d’une société de consommation qui ne doit jamais s’arrêter. Marx Express réinvente la grammaire de la SF avec intelligence. Ni patchwork, ni hommage, le long métrage de Jérémie Périn tisse son propre univers avec minutie et cohérence.
A défaut d’appareil sexuel, des robots déplombés (libérés de l’obéissance logicielle) s’adonnent à une forme de tantrisme plutôt qu’à la fornication. Les humains de chair et d’os prostituent leurs avatars cybernétiques, d’autres préfèrent préparer leurs exams via des fermes de robots plutôt qu’à grand renfort de codéine. Bienvenu dans le meilleur des mondes où tout a un prix qui fait fi de toute éthique, même protocolaire. On communique en face à face par télépathie, summum du multi-tâches et de la déconnexion hyperconnectée. Comble du comble, les robots semblent presque plus humains que leur créateur.
« Un dé à coudre empli de tourbillons de rien : c'est l'humanité... »
René Barjavel, La faim du Tigre (1966)
C’est donc avec délice qu’on voit l’univers de Mars Express se livrer sans que rien ne semble l’arrêter. Des idées partout, tout le temps, un sens de l’humour aiguisé qui se joue des Poker Faces de ses héros soudainement pris d’un rictus nerveux pour mieux singer leur interlocuteur. Autant de personnages déconnectés de l’ancien monde que rêvait tant Barjavel. Le cynisme donne la couleur de Mars Express. La planète est surpeuplée et les robots font partie intégrante de notre quotidien, à l’image des réfugiés, avec un statut à peine plus réjouissant.
Comme le veut la coutume qui consiste à craindre tout ce qui nous est étranger, les robots sont tenu pour responsable des fléaux du monde, alors qu’ils sont eux-mêmes exploités parmi les exploités. Triste sort qui gouverne le faible, désireux de devenir plus puissant que son voisin de misère. Si l’essor technologique a permis à l’humanité de fuir ce qu’elle a pourri sur Terre, les colonies extraterrestres reproduisent le même schéma qui traverse l’histoire de l’Homme.
Dans ce néo-(néo)libéralisme amer, un bon marché est un marché privé et l’Etat doit être dépouillé de ses prérogatives régaliennes. Variante de la servitude volontaire, six siècles plus tard, c’est toujours le même carcan qui emprisonne l’humanité avec une nouvelle strate réservée aux robots, lesquels sont en concurrence directe avec le lumpenprolétariat de la nouvelle ère. Propulsé par un rythme cadencé, Mars Express emporte le spectateur par son enquête cyberpunk aux rebondissements permanents. Au milieu de ce chaos, Carlos et Aline forment les Starsky et Hutch du futur avec panache.
« Pour que les hommes, tant qu'ils sont des hommes, se laissent assujettir, il faut de deux choses l'une : ou qu'ils y soient contraints, ou qu'ils soient trompés »
La Boétie, Discours de la servitude volontaire (1574)
Avec une intrigue bien ficelée, des scènes d’action renversantes, un visuel aguicheur et un univers tellement riche qu’on en vient à regretter le générique, Mars Express est un anime qui devrait taper dans le cœur des fans de SF. On lui pardonnera volontiers sa fin un brin frustrante mais à la symbolique évocatrice.
Conclure un récit confine parfois au deuil et Mars Express parvient à s’extraire des poncifs que nous vomissent trop souvent Hollywood et autres assimilés, désireux de produire des spin-off à gogo. Et pourtant, on en redemande, quitte à rêver d’une série… mais est-ce bien sérieux ?
Jérémie Périn est réalisateur et scénariste de dessins animés. Il a par le passé réalisé des clips comme Truckers Delight et Fantasy avant de gagner en popularité avec la série Lastman qu’il a réalisée. Il est également scénariste sur la série acidulée Crisis Jung. Il signe son premier long-métrage de SF avec Mars Express, après des années à murir le projet. Sortie prévue le 22/11/2023.
Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.
© 2021 MaG - Movie & Game Tous droits réservés
Je lui promets un joli succès critique lors de sa sortie en salle. 🙂
[…] Mars Express, folle virée au cœur de la hard SF de Jérémie Périn par KillerSe7ven […]