Sorti en automne dernier, Lost in the Night (ou de son titre original Perdidos en la noche) propose une plongée nocturne dans un Mexique contemporain, pris en étau entre un ultra-capitalisme rampant et une corruption galopante. Un thriller asphyxiant à retrouver désormais en format physique…

Escalante de violence

Emiliano (le brillant Juan Daniel García Treviño) a perdu sa mère, activiste opposée à la construction d’une mine synonyme de désastre écologique pour la région. Autant persuadé que sa sœur qu’elle a été tuée, ils traquent chacun à leur manière les différentes pistes qui pourraient les mener à son assassin. Des pistes qui semblent toutes converger vers une villa en bord de lac, où réside un exubérant couple d’artistes et leur famille.

Le réalisateur mexicain Amat Escalante n’en est pas à son coup d’essai. Il avait déjà remporté le Prix de la mise en scène à Cannes en 2013 pour son film Heli, et son dernier film en date – La Région sauvage (2016) – avait fait grand bruit. Une brillante relecture du Possession d’Andrzej Żuławski, torturé et érotique, dont la mise en scène froide et chirurgicale tranchait avec ses exubérantes scènes fantastiques.

« La Région sauvage » (2016), Eros et Thanatos

Escalante revient donc avec un thriller viscéral, proche de ce que nous avait offert Damián Szifron avec Misanthrope l’année dernière. Le film s’ouvre sur une citation de Dostoïevski dans Le Rêve d’un homme ridicule :

« Se tuer était une question d'une telle indifférence que j'avais envie d'attendre un moment où cela ferait une certaine différence. »

Texte sur écran rouge. Un carton envahissant l’image comme le sang que le film et la situation de départ promettent de répandre. Une poignée de plans jettent in medias rest son spectateur dans un conflit social lacunaire autour de la construction d’une mine, dont nous comprendrons rapidement les enjeux. Financiers, évidemment. Écologiques aussi. Nous y verrons l’unique apparition de la mère d’Emiliano, tentant de mobiliser avec une poignée d’activistes cernés par la police une contestation contre l’aberration environnementale que constitue l’exploitation de cette ressource souterraine. Une apparition brève, sitôt soldée par un plan nocturne de route à la Lost Highway, une nuit déchirée par un gyrophare et quelques coups de feu. Explosion d’une violence sidérante et retour de cet écran rouge. La citation de Dostoïevski n’apparait plus, mais nous l’avons en mémoire…

Attention, ça secoue

Et le film avancera ainsi, en embardées soudaines rompant des plans d’une longueur presque contemplative. Lost in the Night fait jaillir ses plans, comme jaillissent la cervelle éclatée du conducteur maculant son pare-brise, le sperme engluant une main à la suite d’une brève masturbation dans la cambrousse ou encore les visions de cadavres en putréfaction ramollis par l’eau dans laquelle ils trempent. Un jaillissement qui traversera le long-métrage, déstabilisant un spectateur qui ne saura jamais à quoi s’attendre tant le film négocie rapidement ses ruptures et ses apparitions cauchemardesques.

Ce double tempo de tâtonnements (Emiliano est littéralement “perdu dans la nuit”) rompues par de soudaines embardées insuffle un rythme prenant à ce film de vengeance qui tranche avec les poncifs du genre. Là où l’on retrouve d’habitude un héros déterminé, lancé sur des rails et que rien ne pourra arrêter (The Killer en est une parfaite illustration récente, mais cela concerne également bon nombre de classiques), Emiliano se perd. S’embourbe toujours plus dans un marécage inextricable, jusqu’à errer, yeux hagards, submergé par une situation que l’on devine indémêlable.

La Maison du lac

Une situation indémêlable qui se concentre pourtant autour de cette villa d’artistes. Une poignée de plans nous embarquant dans leur flottement fantomatique nous jette les bases architecturales de cette maison hors-norme, mi-bunker, mi-phare. Des fenêtres en meurtrières aux installations artistiques étranges, des multiples balcons superposés au jardin intérieur, elle est filmée comme le cocon de la famille qu’elle héberge. Un cocon violé – plusieurs attaques imputées à un groupe sectaire de la région vise le paternel de la famille – que même Emiliano, alors qu’il se fera embaucher comme homme à tout faire, ne pourra pénétrer que rarement.

Escalante le garde à l’extérieur, presque constamment. Satellite d’un monde qu’il tente de sonder, de comprendre. Observateur des saillies artistiques des adultes et de leurs étranges œuvres, des facéties sexuelles bien peu discrètes du couple de parents, ou encore des manies dictées par les réseaux sociaux de la fille aînée du couple (Ester Expósito). Observateur également des rapports de pouvoirs qui se nouent et se dénouent sous ses yeux : collusion avec une police résolument corrompue, puissance numérique enfermée entre les ongles manucurés de l’adolescente, discours démissionnaire d’une classe bourgeoise sédimentée par sa propre condition sociale. Le film brasse large et perd un peu plus son personnage principal dans une nuit capitaliste qui semble décidément avoir pris le pas sur le jour.

Conclusion

Lost in the Night est donc le retour d’Amat Escalante, et un retour diablement réussi. À cheval entre Nocturnal Animals et Misanthrope, il promet un voyage nocturne chahuté dans un Mexique rural violent, gangréné par sa police et ses narcos. Un long-métrage à découvrir désormais en format physique.

Fiche technique

DVD Zone B (France)
Éditeur : Blaq Out
Durée : 118 min
Date de sortie : 06 février 2024

Format vidéo : 576p/25 – 2.39
Bande-son : Espagnol Dolby Digital 5.1 (et 2.0)
Sous-titres : Français

Lost in the Night

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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