31 octobre 1977. Alors que Jack Delroy est confronté à la chute vertigineuse de l’audience de son émission, il entend bien tenter un dernier coup d’esbrouffe pour renverser la vapeur. L’animateur vedette mise le tout sur le tout à l’occasion d’une soirée paranormale qui marque aussi son grand retour à l’antenne après une pause douloureuse. Mais est-on bien sûr qu’il mène encore la barque ?

Croit celui qui peut croire

Avec sa patine aux airs argentiques, Late Night With The Devil cherche immédiatement à retranscrire cette ambiance si singulière des Late Night Show typiques des programmes nocturnes américains. Diffusés en troisième partie de soirée, ces derniers enchaînent sketches, musiques live et interviews coup de poing sur un ton alternant entre détente et confidences. L’orchestre vient rythmer chaque moment de suspense par un roulement de tambour. Les musiciens ponctuent les révélations et punchlines d’un coup de timbales bien placé, tandis que l’animateur joue le rôle clé de chef d’orchestre sans lequel tout s’effondre. Le public lui aussi est un instrument à part entière de ce numéro de manège dont on sait tous qu’il repose sur des panneaux « Applause ».

Du pur Entertainment à l’américaine est décalqué à l’image, comme si nous étions nous-même rivés devant notre tube cathodique, le format 4:3 en prime. Tout le dispositif scénographique repose sur un pacte tacite avec le spectateur : ce à quoi vous assistez n’est rien d’autre que l’émission qui a conduit au drame le plus mystérieux des USA, comme l’annonce une voix grave avant que l’écran ne s’éteigne pour laisser la place au programme. Late Night With The Devil apparaît alors à l’écran, le visa d’exploitation et les partenaires commerciaux. Diablement efficace.

Pour nous faire croire au spectacle à venir, les réalisateurs Colin et Cameron Cairnes regorgent d’idées et passent par une digression essentielle. La première consiste à nous faire intégrer le profil trouble de l’animateur télé. En quelques minutes à peine de brèves séquences tirées d’un reportage sur cette personnalité du showbizz, on découvre son profil avant même que le talkshow ne commence. On y voit sa femme décédée d’un cancer, les émissions suivantes qui dégénèrent et son repli de la scène médiatique avant son grand retour… le soir d’Halloween.

En toile de fond, on devine le contexte de tension accrue des années 1970 qui vient battre en brèche le narratif de l’hégémonie américaine. C’est le camouflet de la guerre du Vietnam, le choc pétrolier, le meurtre de Charles Manson et l’érosion progressive d’un bloc en proie au doute en pleine guerre froide. « La violence qui embrase le ciel » et la montée supposée du satanisme comme le dramatise la voix off. Autant d’image véhiculées au travers d’un petit écran rectangulaire qui fascinera la planète entière jusqu’à aujourd’hui selon le célèbre adage – et plus grande arnaque du monde modern – « si c’est passé à la télé, c’est que ça doit être vrai ! ». Une hallucination collective d’une société tout entière tournée vers la consommation à tout prix ; une propagande comme une autre.

Ces quelques minutes de contexte dévoilé par cette voix off rauque nous permettent de nous immerger tout en douceur. C’est à l’image de l’hypnotiseur qui procède par petites touches de suggestions, presque à l’instar d’Inception pour ainsi dire.  Et puis, après tout, si on est là en train de regarder le DVD du film, c’est déjà qu’on a envie d’y croire, non ? C’est d’ailleurs ce que suggère d’entrée de jeu l’animateur. « Quel mal y a-t-il à vouloir croire au mystère » annonce Jack Delroy, joué par l’excellent David Dastmalchian (Severance, Prisoners, Blade Runner 2049, Oppenheimer, Dune, etc.) et dont le rôle semble avoir été taille sur mesure pour l’acteur polymorphe. 

We'll be right back folks...

De temps en temps, même l’image saute à l’écran, comme une époque pas si lointaine où il fallait bouger l’antenne pour mieux capter le signal. Le premier invité Christou commence alors à chercher à entrer en contact avec les morts et les membres du public. Si les premières tentatives restent infructueuses, le mentaliste s’effondre et semble soudainement possédé. Epuisé, l’homme reprend alors ses esprit et Jack Delroy annonce une pause publicitaire, le regard grave tourné vers la caméra. Les invités se succèdent, du mentaliste Christou à Ian Bliss, magicien devenu sceptique et à une petite fille très « spéciale ». « Comme moi, vous êtes un menteur, un tricheur, un charlatan » assène le repenti au malheureux Christou, après son numéro bancal.

Sur le plateau, la tension est palpable et on sent que l’orchestre lui-même doit parfois jouer une partition improvisée pour accompagner l’émission et combler les inévitables moments de flottements. Comme le public et toute l’équipe, le spectateur s’interroge sur ce qu’il vient de voir ? Ce procédé de mise en doute va être décliné tout au long du film avec de brèves transitions en noir et blanc (et au format large) dans les coulisses du plateau. Là encore, c’est astucieux car on devine indirectement la tension qui gagne Jack, comme si le show lui glissait des mains. Et si c’était vrai après tout ? Par moment, un bref décrochage du regard de Jack Delroy en coulisse, laisse supposer que ces passages en noir et blanc sont d’authentiques bandes qui viendront documenter l’évènement.

Porté par une écriture très soignée, Late Night With The Devil est un bijou de narration à la tension crescendo et où le spectateur, nécessairement dubitatif, finit par se laisser convaincre par le show. On aurait presque envie d’écrire que Debord nous avait prévenu par cette thèse la plus célèbre : « Dans un monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux ». Ce contrat commercial signé avec la chaîne de télévision n’est rien d’autre qu’un pacte faustien qui noue de façon irrémédiable le sort de tous ces pantins télévisés.

Un pacte qui est tout autant proposé au spectateur par la « trêve de jugement » qu’implique nécessairement toute expérience de cinéma. Contrairement au rêve : on entre volontairement, par ce contrat tacite dans le récit, et celui qui nous y plonge peut décider à tout moment de nous en faire sortir à travers un procédé de distanciation. Cette escroquerie librement consentie, cette servitude volontaire au dispositif scénographique trouve son paroxysme lors d’une scène d’hypnose à grande échelle au beau milieu du film où nous somme invités (comme le public) à garder les yeux sur la montre gousset de Ian Bliss. Nous avons contracté à l’instant même où nous avons lancé le film en renonçant aussitôt à la rationalité au bénéfice de l’imaginaire. Une mise en abîme originale qui vient renouveler à sa manière la logique du found footage histoire de prolonger Halloween en beauté !

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

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