En 1896, l’arrivée d’un train en gare de La Ciotat filmé par les frères Lumière et projeté pour la première fois au public lyonnais avait généré un mouvement de recul de la foule. Près d’un siècle plus tard, les vidéos des premières réactions de stupéfaction du public expérimentant la VR pour la première fois peuplent les vidéos des réseaux sociaux. Technologie autrefois cantonnée à une génération de geeks et technophiles avertis, la réalité virtuelle ne cesse de surprendre. Billet à chaud sur la sélection VR annécienne et entretien avec Arnaud Miquel, coordinateur XR du festival d’Annecy. 

La VR au festival d'Annecy

Réalité virtuelle ou fiction réelle ?

Depuis les premiers casques promus par l’industrie du jeu-vidéo, les expériences VR se dessinent progressivement dans notre quotidien. La VR émerge des garages des pionniers de l’informatique pour mieux s’enraciner dans nos foyers. Certains casques ne nécessitent plus de soutien d’un puissant PC, ni même de câbles à connecter. Progressivement la barrière technique s’efface. La résolution de l’image gonfle, l’angle de vue s’étire et le rafraichissement d’images augmente ; les casques s’allègent jusqu’à peut-être bientôt oublier les frontières entre virtuel et réel. La VR entretient en permanence un rapport réflectif sur elle-même, quitte à interroger nos perceptions du réel et bousculer la grammaire de la narration. Dans l’expérience VR Goliath Playing with Reality, un simulateur de schizophrénie ludique, notre voix intérieure énonce parfaitement le paradoxe de la VR :

« What you see is in the game, what you feel is real. »

Le mirage virtuel donne parfois envie de ressentir le toucher alors que nos sens sont bousculés dans leurs habitudes. Autant d’obstacles qui nécessitent de revisiter les manières d’orienter le spectateur devenu acteur malgré lui. Si la littérature pouvait laisser des indices ou générer des images et que le cinéma choisit volontiers ses angles de caméra pour mieux révéler, sinon cacher ce qui lui importe, la VR doit elle aussi trouver d’autres manières de cibler notre attention.

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Le stand VR d'Annecy

Une lumière qui surgit dans l’obscurité, un bruit qui nous fait tourner la tête, autant d’artifices essentiels pour porter la narration. Comme en peinture, la perspective, l’agencement ou encore les contrastes entre ombres et lumières chers au clair-obscur nous guident pour orienter le mouvement. La récente annonce du PSVR2 de Sony montre combien le leader japonais cherche à confirmer son rôle d’ambassadeur dans la démocratisation du médium, bien loin d’une simple mode passagère. Si le parc de casques reste encore limité et que certains milliardaires mégalos souhaiteraient nous précipiter dans un monde dystopique, où le metaverse couplé à la publicité seraient une nouvelle ressource à épuiser, l’intérêt de la VR réside avant tout dans sa dimension artistique collaborative.

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La tête dans les nuages...

A mi-chemin entre le jeu vidéo et le cinéma, la VR est par essence expérimentale. Ce n’est pas toujours un jeu vidéo, ni un film à proprement parler. C’est un objet polymorphe qui convoque en permanence le regard et l’intervention du sujet. Le festival d’Annecy laissait la part belle à des œuvres VR que nous avons pu essayer. Du cartoon de Kidnapping à Vostok au reportage To The End of the World en passant par des essais plus conceptuels et ludiques, la VR montre sa plasticité dans les approches adoptées. 

En plus d’un petit palmarès personnel des meilleures œuvres VR d’Annecy, retrouvez notre échange avec Arnaud Miquel, coordinateur XR du festival, l’occasion d’aborder les enjeux de la réalité virtuelle, ses défis et son avenir.

Interview VR d' Arnaud Miquel

Notre sélection des œuvres VR d’Annecy

On the Morning you Wake (To the End of The World)

On the Morning you Wake (To the End of The World) est l’archétype du reportage immersif réussi. Le 13 janvier 2018, tout Hawaï reçoit un SMS d’alerte « Menace de missile balistique sur Hawaï. Abritez-vous immédiatement, ceci n’est pas un exercice ». En alternant les perspectives des différents citoyens de l’archipel qui oscilleront entre crédulité et peur d’une frappe imminente, ce reportage est un franc succès. Particulièrement bien réalisé et écrit avec soin, To the End of The World, en plus d’être parfaitement aligné sur l’actualité, utilise de nombreux leviers narratifs originaux et propres à la VR.

De l’effet maison de poupée avec des vues à distance, aux carte 3D et plongées au cœur des témoignages de la population, ces 42 minutes de reportage passent à toute allure. Les transitions s’enchaînent sans accroc et chaque chapitre décline ses idées sur le paradoxe de dissuasion nucléaire, supposée maintenir la paix mondiale. A moins qu’il ne s’agisse d’une fable ? Puissant plaidoyer contre la folie nucléaire, To The End of The World était l’expérience VR la plus aboutie.

Marco & Polo Go Round

Alors que Marco et Polo font face à des difficultés au sein de leur coupe, le spectateur assite à un début de scène de ménage qui défie littéralement les lois de la gravité. Ecrit avec justesse, le film de Benjamin Steiger Levine se joue du spectateur et des angles morts. C’est avec finesse qu’on se laisse berné par la réalisation, alors que des éléments se renversent ou apparaissent à notre insu. Drôle et bien écrit, Marco & Polo Go Round nous a également séduit par son style pastel à l’instar d’une aquarelle qui prendrait vie en temps réel. 

Kidnapping à Vostok

Kidnapping à Vostok était la cartouche mâtinée d’humour du festival. Cartoon baroque, où deux scientifiques russes kidnappent un scientifique afin de l’héliporter pour un interrogatoire, ce court-métrage français de Jean Bouthors joue la surenchère avec deux caricatures soviétiques inspirées. Ces pieds nickelés vont multiplier les ratés, alors qu’on assite -ligoté- à toutes leurs mésaventures. Plus classique dans l’approche du fait que le spectateur est nécessairement immobile et tourne seulement la tête autour de lui, il s’agissait tout de même d’un agréable moment qui montre que le cartoon fait bon ménage avec la VR.

Goliath Playing With Reality

Goliath Playing With Reality est clairement l’oeuvre VR qui se rapproche le plus du jeu-vidéo. « Après une décennie d’isolation dans des institutions psychiatriques, Jon, un homme atteint de schizophrénie paranoïaque, trouve son salut dans les jeux vidéo en ligne. » Conçu comme une réflexion sur le rapport à la fiction, Goliath Playing With Reality enchaîne des séquences de gameplay et d’entraînements virtuels avec une narration originale en toile de fond. Simple mais efficace, Goliath Playing with Reality rappelle combien des concepts simples peuvent faire mouche quand l’écriture est de bonne facture. 

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La VR une expérience introspective ?

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

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