Au XVIème siècle, le Japon est déchiré par d’incessantes guerres entre gouverneurs de province. Chacun cherche à s’arroger les terres de l’autre. Parmi eux, Nobunaga est déterminé à prendre le pouvoir du pays après avoir maté plusieurs clans ennemis. Mais l’un de ses généraux, invente une rébellion avant de disparaître. Furieux, Nobunaga choisit deux de ses fidèles, Mitsuhide et Hideyoshi, pour traquer le traître et tenter de le capturer. Et il promet que celui qui réussira la mission deviendra son successeur. Avec Kubi, Takeshi Kitano signe un retour à ses premiers amours : le chanbara.

Cannes signature 2

Ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire la grimace

Takeshi Kitano est un homme aux multiples talents. Il y a d’abord le cinéaste au style inimitable, un genre où l’humour noir est systématiquement débordé par la violence. C’est aussi son avatar Beat Takeshi, célèbré au Japon pour son humour décapant (revoir le reportage d’Arte). Dans Kubi, on retrouve un peu toutes ses obsessions comme l’excentrisme des travestis : un thème qui apparaît avec la figure des geishas dès son adaptation de Zatoishi en 2003. Après sa période Yakusa (Aniki mon frère, Outrage), il aura donc fallu un grand-écart de vingt ans pour que le maître du sabre revienne au Japon féodal avec Kubi.

Dans son nouveau film présenté pour la première fois à Cannes, Takeshi Kitano endosse de nouveau le rôle d’un vieux seigneur de guerre du nom d’Hideyoshi. On l’appelle le Singe, grâce à sa ruse et son habilité à renverser toute situation. Dans la pure tradition du réalisateur, on retrouvera toutes les déclinaisons de personnages à l’image du bon, de la bête et du truand. Bien loin de l’honneur des guerriers qu’on célèbre dans de nombreuses œuvres, le monde de Kitano est toujours marqué par la fourberie et la primauté de l’intérêt personnel sur le collectif.

C’est le règne de la traîtrise et à l’image de Zatoishi où chacun cherchait à prendre la place de l’autre, c’est à un jeu de chaise musical auquel on assistera de nouveau ici. Attendez vous d’ailleurs à voir votre lot de décapitations pour l’année ! Rien d’anormal finalement quand on connaît l’amour du réalisateur pour les jeux télévisés comme son émission compétitive Takeshi Castle qui forgea une partie de sa réputation dans les années 1990 et où, à la fin du show, il n’en restera plus qu’un.

Avec les yeux fermés, on voit mieux les gens

Kitano décline ainsi tout son registre de protagonistes avec un trait de caractère saillant pour chacun d’entre eux : l’ancien ninja devenu troubadour, le paysan qui rêvait d’être shogun ou encore le chef de clan mégalomane et sanguinaire. C’est d’ailleurs sur ce point que Kubi prend une forme moins attendue avec Nobunaga, qui rappelle directement le marquis de Sade. Perpétuellement humiliée, sa garde l’a en horreur mais tout le monde lui prête allégeance (en apparence tout du moins). Kitano va par ailleurs représenter une face cachée de la camaraderie : l’homosexualité. Quitte à faire tomber les tabous qui règnent dans ce milieu viril idéalisé par de valeureux codes d’honneur aujourd’hui éculés, c’est aussi l’histoire d’une bromance inavouable entre deux de ses rivaux…

A 76 ans passés, Kitano réussit à incarner un vieux briscard colérique et insondable, prêt à monter d’invraisemblables stratagèmes pour liguer les uns contre les autres. Artificiellement complexe, l’histoire est surtout propice à des scènes aux rebondissements en cascade même si on perd parfois le fil. Qu’importe, Beat Takeshi s’en donne à cœur joie pour singer le chanbara sous toutes ses coutures. Il n’hésitera pas non plus à briser le troisième mur avec une galerie de personnages, qui mènent leurs coups fourrés en adressant directement des grimaces au spectateur. C’est que le réalisateur n’a plus rien à prouver, alors autant briser les codes une dernière fois.

Drôle, joyeusement gore et souvent percutant dans ses dialogues, Kubi se moque allégrement de la réception du public avec une réalisation qui s’inscrit dans un cadre plus classique. Quant aux effets spéciaux, comme pour chacun de ses films, on retrouve des cascades et batailles réalisées principalement sans artifice numérique. Cela confère toujours un certain cachet burlesque à l’ensemble avec un côté hyperbolique revendiqué. Mention  spéciale aux costumes toujours remarquablement travaillés.

L’homme est un loup pour l’homme

Cette conquête permanente du pouvoir est à l’image de toute la vie de celui qui s’extirpa d’un des quartiers les plus pauvres de Tokyo, alors dévastée par les bombardements américains qui soldèrent la Seconde guerre mondiale. Fasciné par le théâtre populaire, c’est au quartier d’Asakusa, repère des cabarets et acteurs de manzai, que Kitano fit ses armes et ses premières représentations. En quelque sorte, ce sont chacune de ces facettes qui trouvent écho dans Kubi, jusqu’au jeux d’argent qui nourrissent les rêves de grandeur du petit peuple.

Alors que la séance cannoise s’achevait par un tumulte d’applaudissements du public, Takeshi Kitano prend la parole, remercie le public et lâche : « Je reviendrai avec un meilleur film ». Silence alors que Kubi serait peut-être le dernier long-métrage annoncé de sa carrière. Puis il se reprend, mystérieux : « Quand ce sera fini… ». Sans être révolutionnaire ni meilleur que l’indétrônable Zatoishi, Kubi est une satire réussie des Sept samouraïs, synthèse de la vie d’un homme fidèle à lui-même et qui n’aura jamais cessé de mêler acteur et personnage au quotidien.

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

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[…] La critique de KillerSe7ven […]

le loup celeste
Administrateur
10 mois

Ce film en costumes à la plaisanterie assassine détourne les archétypes du chanbara pour mieux décortiquer la mécanique cynique des jeux de pouvoir. Et dans la continuité des ses œuvres sur les Yakuzas, ‘Beat’ Takeshi décroche les rires avec des personnages « historiques » sans morale ni honneur malgré les apparences et les codes. Loin de l’épopée, c’est à une farce tragique que le cinéaste nous convie ! 

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