Initialement sorti en 2015 sous la plume de Lize Spit, Het Smelt a immédiatement fait des émules dans le milieu littéraire flamand. Une lecture choc, coup de poing, rapidement traduite dans de nombreuses langues. (La traduction française est disponible ici, sous le titre Débâcle.) C’est donc sans surprise qu’une adaptation au cinéma a été mise en chantier. A la réalisation, Veerle Baetens, une actrice reconnue en Belgique, déjà lauréate de deux Magrittes de la meilleure actrice (pour Au nom de la terre en 2016 et Duelles en 2020), se retrouve ici pour la première fois derrière la caméra. Et on peut dire, sans sourciller, qu’elle nous offre déjà une vraie proposition singulière et personnelle.
Souffler le chaud et le froid
Eva, aujourd’hui jeune adulte, revient à Bovenmeer, petit village flamand de son enfance, des années après un été étouffant ayant échappé à tout contrôle. Son seul bagage : un énorme bloc de glace à l’arrière de sa voiture. Dans l’hiver de sa vie d’adulte, elle se remémore « Les Trois Mousquetaires », cette bande qu’elle formait avec Tim et Laurens. Leurs jeux, leurs disputes, leurs erreurs. Et leurs conséquences…
Dès ces premiers instants, le film se sépare entre deux trames distinctes, ne cessant de passer de l’un à l’autre. D’un côté, le présent hivernal d’Eva adulte. De l’autre, le passé solaire d’Eva enfant (joué par Rosa Marchant qui a remporté le Prix d’interprétation féminine au Festival du film de Sundance 2023). Chacune des trames ayant ses propres enjeux et servant de moteur à l’autre, levant un nouveau voile sur les séquences précédentes. Dès le début du film, on sait qu’Eva a une relation compliquée avec ses parents. Il faudra attendre alors une séquence de repas mémorable pour comprendre ce qui en est la source. Un regard trouble et dérangeant entre Eva et Marie, la bouchère, ne trouvera son explication que dans la révélation finale du film. Le scénario joue ainsi avec les informations qu’il nous donne et les pièces du puzzle qu’il nous manque pour nous pousser encore plus loin dans les événements horribles qui ont animé cet été.
Une attention particulière au détail
Si la structure même du scénario est particulièrement plaisante, c’est l’attention aux plus petits détails que l’on retrouve au fil des plans qui apporte un vrai plus au film. Que ce soit dans la cohérence de son récit ou dans l’intensification de ses enjeux dramatiques. Ici, une légère marque de bronzage laissée par un maillot de bain qu’on retire à la fin de l’été. Là, un simple plan sur un scarabée qui révèle toute la psychologie de la protagoniste dans une scène phare. Le film offre un amoncellement d’idées de cinéma qui en font un régal et qui émerveille, au milieu de la dureté de son sujet et des thématiques qu’il aborde.
Il y a tout de même quelque chose d’étrange et de malsain qui suinte du film. A commencer par cette énigme leitmotiv du film, étrangement macabre dans la bouche d’un enfant et moteur d’un jeu pervers organisé par des garçons qui perdent petit à petit leur innocence. La grande force du film est de faire ressentir cet aspect dérangeant, sans jamais sentir le besoin de le filmer de manière frontale. Eva n’est finalement à l’abri nulle part. Ni à la maison où les tensions avec sa mère sont incessantes, ni avec ses amis, qui deviennent petit à petit des hommes. Prise au piège, elle ne peut qu’avancer interminablement vers ce qui l’attend. Dans sa dernière tentative de reprendre les choses en main, alors que l’été se termine, on la voit finalement échouer. L’innocence de son enfance est à jamais brisée.
Des enfants en devenir
Malgré toutes les qualités déjà énoncées, si le film ne devait être retenu que pour un seul aspect, c’est bien pour son casting saisissant. Si de très bons acteurs sont remis sur le devant de la scène pour les rôles d’adultes comme Naomi Velissariou ou Charlotte de Bruyne pour ne citer qu’elles, c’est la prestation des jeunes acteurs qui est à couper le souffle. Ayant pour la plupart peu ou pas d’expérience au préalable, ils dominent le film par la puissance de leur interprétation. Un talent immédiatement remarqué dans des festivals comme Sundance, où Rosa Marchant, qui joue Eva jeune, a reçu un prix de la meilleure performance.
S’ils sont aussi bons, c’est sans doute parce que la réalisatrice a su capter leurs regards. Tantôt doux, tantôt durs, tantôt perdus, on se perd vite dans leur contemplations, dans les iris scintillants, dans ces échanges (ou non) silencieux qui portent le poids de toutes leurs émotions. On ne peut qu’avoir hâte de voir ce que proposera Veerle Baetens à son prochain passage derrière la caméra. Sortie en salle prévue le 28 février 2024 en France.
Encore petit fretin dans l'océan du cinéma, je nage entre les classiques et les dernières nouveautés. Parfois armé d'un crayon, parfois d'une caméra, j'observe et j'apprends des gros poissons, de l'antique cœlacanthe bicolore, du grand requin blanc oscarisé et des milliers de sardines si bien conservés.
Infos divers
: 28 février 2024
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Superbement bien écrit, merci pour ce partage profond tout en gardant subtilement l’intrigue du film un mystère. Merci !