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- Frostpunk 2 ou comment j’ai ...
- Testé sur PC avec une RTX 4070 TI en 3440 X 1440 écran ultra large.
- Jeu acheté sur Steam, le top pour un jeu steampunk.
- A joué une trentaine d’heures en quelques parties. J’ai repris le jeu du début et en chargeant de multiples fois des sauvegardes en amont. Vive les weekends prolongés !
- Campagne solo finie en mode de difficulté 2/4, officier, niveau recommandé par le jeu pour les vétérans du premier opus !
- Face à la complexité des systèmes, je n’ai pu vraisemblablement apercevoir que la partie émergée de l’iceberg polonais !
- Mon destin dictatorial était tout tracé… ma mère m’appelait le petit ayatollah à au primaire…
- Captures de gameplay maison.
- Toute ressemblance avec des faits réels ou les récents résultats des élections américaines est purement fortuite.
« Tout le mal de ce monde vient de ce qu’on n’est pas assez bon ou pas assez pervers. » écrivait Machiavel que j’ai pris à la lettre. Amis démocrates et écoterroristes en culotte courte, en ces temps troubles aux teintes rouge brunes, n’est-il pas grand temps de renoncer à nos idéaux et d’embrasser la dictature une fois pour toute ? Des vœux même de notre bon président enfiévré par l’hybris, il se murmure que nous devrions célébrer notre monarque et ses largesses. Qu’après tout, nous autres sans-dents et crasseux ne sommes rien. Nous n’aurions qu’à essayer la dictature préconisait-il encore avec sagesse. Piqué au vif par une telle bonté vis-à-vis du petit peuple, j’ai donc décidé d’endosser l’uniforme de Pol Pot en lançant Frostpunk 2, un jeu de gestion exigeant et radical à l’ère glaciaire. Une simulation politique où la tentation du pouvoir frise vite le coup d’Etat. L’enfant des Lumières s’est progressivement transformé en tyran sanguinaire. Comme quoi, de la démocratie au fascisme, il n’y a qu’un pas. Journal de bord d’un gouverneur implacable.
«J’aime le gaz, j’aime le pétrole » Donald Trump.
Pour ceux qui ne connaissent pas encore la franchise originale de 11 Bit Studios, les devs polonais sont l’une des figures de proue de la scène indépendante avec des propositions ludiques qui n’oublient jamais de faire réfléchir le joueur, amené à prendre part à des choix cornéliens. Qu’il s’agisse des déchirements de la guerre et du calvaire du côté des civils dans le remarquable This War of Mine ou de leur prochaine production, The Alters, où un mineur de l’espace est contraint de créer des versions alternatives de lui-même afin de survivre sur une planète inhospitalière, 11 Bit Studios cherche systématiquement à rendre le joueur partie prenante de son destin. A chaque nouveau jeu, une variante du survival. Le premier opus, sorti en 2018, nous avait totalement convaincu. Mon expérience s’était – là encore – soldée par un gouvernement théocratique fanatisé qui ferait certainement des émules chez les ultra-orthodoxes israéliens aujourd’hui.
Retrouver les neiges de Frostpunk est un régal. Le jeu profite la technologie actuelle pour améliorer ses graphismes. Ce monde urbain steampunk fourmille de vie et la caméra peut zoomer suffisamment prêt pour apercevoir des machines briser les glaces où des colons sillonner les ruelles des districts. Les effets météorologiques se déplacent progressivement sur la carte jusqu’à dévoiler de nouvelles zones à explorer. Frospunk circule entre les villes et avant-postes sans temps mort avec un effet de zoom particulièrement réussi même s’il présente lui aussi quelques saccades. Globalement le jeu jouit d’une finition sérieuse quoiqu’un brin de façade sur les détails à l’heure où sont écrites ces lignes. Au rang des défauts, quelques parties se sont soldées par des bugs graphiques et les sauvegardes font parfois friser l’écran quelques secondes. Un écueil excusable mais qui nous rappelle qu’on est bien dans un jeu vidéo alors que cela fait dix heures qu’on était en train de jouer… On glisse petit à petit dans la peau du gouverneur tout en étant emporté par la magnifique OST composée à nouveau par Piotr Musial (The Witcher 3, Frostpunk). Cerise sur le gâteau, les morceaux s’adaptent avec intelligence à la grogne populaire, de quoi faire monter la tension crescendo.
Le jeu original était déjà particulièrement complet en laissant la part belle à l’expérimentation (et la douleur) car l’erreur était vite le prélude à l’échec. Toujours particulièrement punitif et probablement davantage que son grand-frère, ce second volet est encore plus cruel. D’abord parce qu’il vous jette dans le bain en vous laissant faire vos armes par vous-même. Qu’importe si vous n’êtes pas coutumier des jeux de gestion, c’est à vous de découvrir les mécaniques et innombrables sous-systèmes de jeux avec seulement une base de données qu’on peut consulter à tout moment en appuyant sur la touche T du clavier. Les objectifs annoncés à gauche de l’écran permettent de tâter la température et guider le joueur sans la lourdeur d’un tutoriel. Ce choix déstabilisant pourrait en rebuter certains mais il faut comprendre que l’échec fait partie intégrante du dispositif ludique de Frostpunk. Même les checkpoints automatiques ne sont pas un gage de réussite à venir et il faudra dans les premières parties charger les chapitres précédents et admettre l’échec plutôt que de persévérer vers une situation de toute façon inextricable.
Là où Frostpunk premier du nom mettait systématiquement le joueur en situation d’urgence, le stress est toujours palpable mais plus mesuré, d’abord à raison d’un tempo parlementaire propre aux différentes sessions et où il faudra convaincre les factions rivales d’avancer coûte que coûte pour légiférer. Il sera ainsi possible de négocier des pactes parlementaires avec différents groupes en leur promettant par exemple la construction d’un bâtiment spécifique, en actionnant certaines prérogatives d’urgence ou en leur offrant la main pour la prochaine niche parlementaire. Attention aux indécis qui peuvent faire pencher la balance et le cours du régime de façon inattendue. Les enjeux du vote sont mis en relief par une courte cinématique où les lanternes des députés s’allument une à une jusqu’à se rapprocher de la majorité espérée. A la De Gaulle, le vote se mue parfois en plébiscite même si je n’ai obtenu un vote unanime qu’une seule fois en saisissant l’opportunité politique. Il faut parfois savoir revenir en arrière et abroger une loi pour regagner la confiance de la population. Mais prudence à ne pas trahir ses promesses et irriter ceux avec qui on s’était engagé.
Là où l’enfer blanc venait ponctuer les parties dans le premier, y survivre dans ce deuxième volet semble bien plus facile en comparaison des intrigues parlementaires à digérer. Logique puisqu’il s’agit d’une suite directe du premier et où les populations ont nécessairement appris à vivre avec cette tempête glaciaire qui emporte les habitants par centaines, du moins pour les malheureux qui n’ont pas le luxe de vivre près du générateur, à l’abris du vent, près d’un pôle de chaleur ou d’un distributeur computationnel. C’est la sélection naturelle ma pauvre Lucette, que voulez-vous ? Comment ça, ce n’est pas suffisant un quignon de pain rassis pour la semaine ? La maladie, l’insalubrité, le froid, les accidents du travail rythment le quotidien et il faudra faire preuve d’agilité pour réduire au minimum ces troubles car les variables sont très nombreuses. Il est tout à fait possible d’établir des régimes semblables au communisme ou au contraire une pure société inégalitaire dérégulée.
Diviser pour mieux régner
Au-delà du générateur qu’il faudra toujours alimenter sous peine de déclencher une crise sociale et un game over, ce second volet a clairement mis l’accent sur la dynamique parlementaire et les intrigues inter factions. C’est fascinant de voir combien chaque partie diffère selon votre appétence pour la démocratie ou votre inclination pour la dictature. L’arbre de recherches possibles est lui aussi prodigieux en termes de possibilités de gameplay et il faudra se confronter à certaines situations pour que des recherches scientifiques se soldent par un débouché législatif et vice versa. Si mes sympathies républicaines m’ont un premier temps orienté vers le progrès, la recherche et l’exploration, j’ai vite été rattrapé par l’appétit du fascisme. Une première partie s’est de nouveau soldée par l’impasse de pèlerins fanatisés qui avaient en réalité indirectement pris le pouvoir. Ces fanatiques dévoués à la religion et l’adaptation avait pris possession de l’agenda parlementaire. En cherchant à les contenir ou les séduire, je leur avais donné les clés du Parlement. Les autres factions plus clairsemées se sont progressivement faites phagocytées par ce groupe virulent jusqu’à disparaître de l’échiquier. D’aucuns remarqueront la ressemblance avec la droite française et dont l’agenda politique est aujourd’hui dicté par le RN. Frostpunk est troublant dans sa capacité à reproduire des configurations politiques contemporaines.
Soucieux de reprendre les rennes, je n’avais pas d’autre solution que de charger une sauvegarde en amont. Un luxe qu’on aimerait pouvoir se payer IRL. Cette fois-ci, pas de quartiers, j’ai opté pour une planification stalinienne. Comme on dit dans le jargon, c’est dans les vieux (Pol) pots qu’on fait les meilleures recettes. Jusqu’au dernier chapitre, les factions, quoique rivales, semblaient satisfaites par ma gestion en bon père de famille selon l’expression désuète consacrée. Plutôt que de déshabiller Paul pour habiller Jacques, j’ai profité des divisions intestines pour enrôler les éléments les plus virulents dans ma patrouille républicaine (Ndr : Méfiez-vous toujours des républicains autoproclamés). Cette dernière a très vite pris la forme d’une police secrète conséquente passant de quelques hommes à des brigades complètes et aussi « passionnées » que la BRAV-M. Aveuglées par leur dévouement, les différentes factions n’y ont vu que du feu.
Fort de ma popularité, j’ai mobilisé l’agenda parlementaire pour soumettre au vote des simili états d’urgence successifs, renforçant par la même ma main mise sur le Parlement. Montesquieu se serait certainement retourné dans sa tombe devant la concentration des pouvoirs que suggérait ma réforme. La fiction et la réalité semblent parfois se croiser. Avec son « Project 2025 » visant à créer un « exécutif unitaire » outre Atlantique, le repenti du Capitole et 47ème président des Etats-Unis manie lui aussi les euphémismes pour installer un régime loyal, là où les fonctionnaires sont traditionnellement les garants du sens de l’Etat plutôt que des supplétifs du chef de l’exécutif. Encore un qui a trop joué à Frostpunk !
Après tout, l’enfer blanc ne nécessite-t-il pas le sacrifice de quelques libertés fondamentales ? La crise perpétuelle reste une technique bien rodée. Malgré les apparences, ne vous attendez pas à dicter au doigt et à l’œil le tempo de la vie parlementaire, il faudra plus que louvoyer pour arriver à vos fins. Rien ne vous oblige non plus à choisir cette voie tyrannique (néanmoins séduisante). En confiant les sessions parlementaires aux uns et aux autres et en anticipant les propositions de lois des différents groupes, j’ai progressivement articulé une législation souple ne reposant que sur un seul et unique objectif : conserver le pouvoir et avancer mes pions en sous-marin. La dictature est toujours un réflexe en temps de crise.
London Calling
Outre la gestion de la Nouvelle Londres, Frostpunk 2 va beaucoup plus loin que son prédécesseur en permettant d’explorer et coloniser l’Etendue. Cette dimension macro-politique est difficile à prendre en main au départ, mais terriblement satisfaisante une fois maîtrisée. Encore une fois, la liberté est reine et on peut décider d’établir des campements qui nous permettront de récolter davantage de ressources. Ce n’est donc pas une mais plusieurs villes qu’il faudra gérer, chacune avec son économie propre. Il faudra toujours veiller à extraire suffisamment de pétrole, de charbon ou de bois pour alimenter les turbines de nos générateurs. Partager et planifier les expéditions entre les différents pôles de l’Etendue est tout aussi crucial. Chaque partie peut prendre des virages imprévisibles qui forcent le joueur à se positionner. Dans l’une de mes parties avortées, la science sans éthique donnait lieu à une législation débridée proche de l’eugénisme. Une autre conduisait les pèlerins vers une secte obsédée par le pétrole et aux rites morbides menaçant l’équilibre de la société tout entière.
A toutes ces composantes, s’ajoute la construction de districts industriels. Ces derniers permettent de produire des biens essentiels à la satisfaction d’une proto-société de consommation plutôt paradoxale à l’ère de la (vraie) sobriété qu’impliquerait la fin du monde. Il faudra ainsi apprendre à jongler entre ces différentes économies locales pour échanger, exporter et importer les ressources manquantes. On devra ainsi envoyer des colons régulièrement pour combler les manques de mains-d’œuvre. Autant dire que les possibilités de l’Etendue sont infinies avec un côté « jeu dont vous êtes le héros » qui renforce nos choix. Certes, j’ai un premier temps pesté devant mon incompréhension face à certains sous-systèmes pas toujours lisibles, à commencer par ces mécaniques précitées ou encore la construction de voies terrestres et aériennes essentielles au commerce mais pas facile à mettre en œuvre au départ. Le joueur s’incline petit à petit devant la générosité folle de Frostpunk qui aurait pu se contenter de reproduire la formule à succès du premier, là où il préfère nous inviter à réfléchir en profondeur aux mécaniques du pouvoir.
Une fois libéré des contraintes économiques et des enfers blancs, j’ai opté pour la colonisation d’un territoire qui m’a coûté cher en vie humaines, la faute à des gaz toxiques qu’il m’a fallu traiter sans considération de mes administrés. Un choix là encore mûrement réfléchi derrière mon clavier, à l’abri du fléau. Pendant ce temps, toujours en catimini, j’enrôlais les éléments les plus radicaux des factions béates de la Nouvelle Londres, planifiant ainsi un coup d’Etat en cas de crise de régime. Je promettais des asiles, des maisons closes et une absence totale de rationnement de l’alcool. Les lettres de poilus enivrés et la maîtrise des cours de la vodka russe m’ont toujours appris les bienfaits d’arroser les prolétaires à bas prix pour les détourner de leur oppresseur.
« Ainsi s'éteint la liberté, sous une pluie d'applaudissements. »
Au cinquième et dernier chapitre, la tension qui couvait entre les deux factions rivales des pèlerins et des sapeurs a conduit au drame… Le leader des seconds s’est fait poignarder par un pèlerin bougon. Patatras, moi qui cultivais l’indivision pour régner en maître des horloges, voilà que mon calendrier autoritaire virait à la bérézina. « Rien n’est aussi désespérant que de ne pas trouver une nouvelle raison d’espérer » m’avait enseigné Machiavel. Puisque mes promesses étaient restées lettre morte, il était grand temps d’opter pour une recette plus musclée et bien connue de nos sociétés modernes au risque de voir le défaitisme ronger mes troupes.
Mes patrouilles se sont alors chargé des basses besognes sans sourciller, tandis que les autres citoyens pris au piège de la guerre civile entre les sapeurs et les pèlerins ont plus volontiers voter la loi martiale. Frostpunk est un manuel réversible des luttes. Et les développeurs polonais ont très bien intégré qu’une révolte sérieuse vise systématiquement les appareils de production des capitalistes, d’autant plus dans une société où les ressources épuisables sont très limitées. Après ma féroce répression, j’ai interné les sapeurs dans les asiles que m’avaient demandé de construire les pèlerins des mois plus tôt. Une méthode soviétique qui fait encore des émules en Russie, en Chine ou en Iran aujourd’hui.
Dans mon infinie sagesse, j’ai créé des camps de détention pour parquer les sapeurs en marge de la Nouvelle Londres près de calottes polaires où ils pourront méditer leur rébellion à loisir. La partie est gagnée. J’ai triomphé mais pour combien de temps, laisse entendre la cinématique finale ? A deux doigts de répéter les crimes des nazis, je me suis rappelé mes promesses quand j’ai lancé Frostpunk ; « La dernière fois, j’ai fini avec la préférence nationale et un régime théocratique, cette fois-ci j’accomplirais le projet de Tocqueville ! » comme je me le jurais naîvement. Les promesses n’engagent que ceux qui les croient et si Frostpunk a bien une leçon à nous donner, c’est que la démocratie est une fiction juridique qui ne tient qu’à un fil. Promis, pour Frostpunk 3, j’essayerais la démocratie…
Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.
Infos divers
: 11 Bit Studios
: 20 septembre 2024
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Il y a peu de jeux qui me font regretter de ne pas avoir mis plus d’argent dans mon PC à l’achat, et étrangement Frostpunk 2 en fait partie, alors que la gestion est habituellement loin de me faire de l’œil. Or, je sais qu’une version consoles arrive, mais c’est définitivement le genre que je refuse de toucher avec une manette, quand bien même l’incrustation du gameplay est bien réalisée.
Ah oui, ça c’est sûr que sur consoles, c’est une autre affaire ! ^^