Pour la sortie de son tout dernier court-métrage Le Dernier Soleil aux 28e journées du court-métrage de Winterthur, retour sur ce dernier film en date d’Alexandre Schild. Le genevois continue de tracer sa route dans le monde du cinéma, ajoutant une pierre de plus à l’édifice de sa jeune carrière que nous avions déjà eu le plaisir d’explorer pour un article un peu plus tôt cette année. De quoi se mettre l’eau à la bouche avant la sortie de son premier long, Les Cheveux de Balthazar, en cours de développement.

Un seul être vous manque...

Antoine (Arcadi Radeff) conduit avec un jeune homme (Maxime Huriguen) inconscient à ses côtés. Il fait nuit, l’orage tonne, et la route les entraine toujours plus au sommet de cette montagne qui leur est chère.

Dur de résumer un court, exercice compliqué d’évoquer l’image qu’il produit sans pour autant le dévoiler au spectateur encore vierge du visionnage. Pourtant, il est dans un travail de Lamartine – l’un des plus notables poètes romantiques produisant ici probablement son écrit le plus connu – un condensé de ce qu’est Le Dernier Soleil. Vous l’aurez deviné au titre de ce paragraphe, il s’agit bien entendu de L’Isolement. Chagrin d’un amour emporté par la tuberculose, Lamartine, planté au sommet de sa montagne, s’offre une courte rêverie mélancolique.

Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N’éprouve devant eux ni charme ni transports ;
Je contemple la terre ainsi qu’une ombre errante
Le soleil des vivants n’échauffe plus les morts.

De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l’aquilon, de l’aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l’immense étendue,
Et je dis : ” Nulle part le bonheur ne m’attend. “

Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !

Extrait de L’Isolement, de Alphonse de Lamartine, disponible en intégralité ici.

Et de poésie nous parlions déjà lorsqu’il s’agissait d’évoquer les premiers travaux d’Alexandre Schild. Elle semble indissociable de son cinéma, qui conjugue les formes comme le poète accorde ses rimes. Mais ce n’est pas le seul parallèle à faire au visionnage de ce dernier court-métrage, et pour cela il faut avoir en mémoire Les Collines de sel datant de 2023.

Les Collines de sel (2023)

Les collines de sel vues du sommet de la montagne

En effet, ses deux derniers courts en date dialoguent l’un avec l’autre. D’abord dans les formes, et cet art de conjuguer close-up sur les visages et plans plus larges sur cette nature qui semble irriguer les sentiments des personnages (l’infatiguable mistral camarguais dans Les Collines de sel, l’orage qui menace au sommet de la montagne dans Le Dernier Soleil). Le jeu constant entre les lumières – nous qualifions son cinéma de crépusculaire – prend tout son sens dans Le Dernier Soleil : en onze minutes, nous passons de la nuit la plus épaisse à l’éclat aveuglant d’un lever de soleil.

Mais le dialogue entre ses œuvres devient d’autant plus palpable lorsqu’il s’agit d’en aborder le contenu. Les thématiques sont connexes et tournent autour d’un malaise très contemporain, où la frontière entre amour et amitié est décidément bien dur à tracer et où les attirances se troublent comme le ciel opaque de cette nuit qui ouvre Le Dernier Soleil.

"Cyril & Louise" (2022)

Dictaphone, lettres, ici cabine téléphonique, les objets surannés du cinéma d’Alexandre Schild incarnent cette bascule entre l’infra-monde solaire des désirs (ici queer, puissant, vitaliste) et celui nocturne de la déception, de la décrépitude et de l’oubli. Que ces espoirs douchés soient féminins (Les Collines de sel), masculins (Le Dernier soleil) ou mixte (Cyril & Louise), la nostalgie subsiste. Marque le plan à l’encre indélébile.

Vous l’aurez compris, plus sa filmographie s’étoffe, plus Alexandre Schild creuse une veine passionnante dans le terreau du cinéma contemporain. Une veine qu’il n’a pas fini de labourer, car il se murmure déjà que le jeune réalisateur se penche sur son premier long-métrage, Les Cheveux de Balthazar. Affaire à suivre…

Filmographie :

Sélection de ses principales réalisations :

  • 2018 : Granuleuse rêverie
  • 2019 : Idylle martyre
  • 2022 : Cyril & Louise
  • 2022 : Lettres en ton nom
  • 2023 : Les collines de sel
  • 2024 : Le dernier soleil

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Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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