Sorti en salle cette semaine, Yamabuki est le dernier film du réalisateur Yamasaki Juichiro. Sélectionné à l’ACID, il présente sous la forme d’un film choral le destin croisé de personnages qui vivent dans une petite ville minière de l’ouest du Japon.
Du signe au titre
Tout est souvent l’histoire d’une apparition. Lorsqu’un film commence, il ne débute souvent que par son titre, et certains cinéastes, comme certains romanciers, tardent à faire apparaitre ce qui doit être le signe d’un commencement. Le titre est le signifiant-maître d’un début et souvent il pointe du doigt au spectateur que l’histoire a enfin commencé. Le titre en devient alors le signifié qui l’autorise à être le signe de ce qui commence.
Dans une peinture le titre devient la pensée de l’image. Le peintre peut enfin écrire ce que sa peinture a pensé. Au cinéma l’histoire se trouve dans une image et peut-être que le titre en contiendrait toute l’image et donc toute son histoire. Le titre raconte l’histoire sans la dire ou au moins il en déictise ce qui l’annonce.
Contruire un paysage
Dans le film de Juichiro Yamasaki l’écran noir est la première image. Il est une surface sur laquelle tout est encore à dire mais surtout à dessiner. Le signe apparait. Il est un trait dessiné à la main, comme celui d’un peintre qui nous laisse contempler le geste d’un signe à venir et d’un paysage à construire. Yamabuki est une fleur, une corète japonaise dans sa traduction à langue à flexion (langue occidentale). C’est une fleur jaune qui pousse à l’ombre du soleil et lui « tourne le dos comme le font les tournesols », parole empruntée et descriptive que prononce cette jeune lycéenne du film dont elle partage, avec cette fleur, l’identité et le nom. Comparaison qui lie entre elles ces fleurs et qui parlent un langage secret.
Yamabuki est donc aussi une jeune fille en fleurs comme toutes les femmes et les filles de ce film dont les robes au motif floral rendent visibles ce signe qui se décline en corps, en chose et en figure. Les corètes japonaises sont discrètes, elles parlent un langage non solaire. Son langage est celui de la roche et du gris. Sa couleur jaune n’a le sens du jaune que par son opposition, et donc sa complémentarité, au gris de la roche des montagnes. C’est ce que nous dit le cinéaste.
De l’apparition du signe et de sa couleur (jaune), se superpose l’image d’une roche grisâtre et désaturée, celle d’une mine (gris). Lieu dans lequel aucune fleur ne peut subsister. Et pourtant la corète se trouve dans le même espace, non dans le même lieu, de l’autre côté de la montagne, à flanc de colline, inespérée et discrète, en attente d’un regard qui, déjà, circule autour d’elle sans en faire le centre optique du paysage.
Théorie des écarts
Yamabuki est une fleur des écarts et des espaces hostiles. Il faut se mettre en danger pour la voir et la ramener. Le père de Yamabuki en a bien conscience, lui qui va en déterrer une à flanc de montagne car les siennes meurent dans son jardin. La corète ne survit pas aux espaces apprivoisés, elle ne supporte pas l’apprivoisement d’un monde trop rangé. Elle le fait savoir dans cette scène de déterritorialisation où le père la détache de son territoire. Elle engendre la chute de pierres qui fera basculer Chang-Su, l’autre protagoniste du film, dans un destin dramatique.
Ce personnage est lui aussi à l’écart. D’origine sud-coréenne, ce père d’une famille recomposée cherche le trait qui lui permettra de fonder un espace sûr et stable. Un espace si loin pour le personnage car il est enfermé dans des lieux clos, à bonne distance d’un sentiment qu’il essaie de trouver : le bonheur. Le voilà percuté à l’intérieur de ce paysage. La corète déterrée par cet autre père, policier, entraine avec elle la chute de ce personnage. Elle en partage les conséquences. Le paysage trouve alors son lieu et toute sa couleur, fait de contrastes et de mouvement de va-et-vient entre ces visages encloisonnés dans les images.
Yamasaki circule à l’intérieur de ce paysage et en décrit les contours sans y mettre de frontières dans cette communauté qui n’arrive pas à communiquer. Les regards des personnages sont bloqués au centre des carrefours de ce paysage urbain dans lequel tout n’est que passages. Les manifestations sont des « silent standing », elles sont silencieuses et ne doivent pas déranger. On ne leur accorde que le bénéfice d’un regard jeté et peut-être perçu par les autres qui passent. Rien de plus. Et pourtant Yamasaki nous dit que l’émancipation est là, non pas l’espoir car l’espoir est déjà un signe trop près de son objet.
L’espoir est un asservissement de plus car le salut rend le sujet esclave de son objet. L’émancipation, elle, passe par cette ouverture du regard. Celui par exemple de cette escorte chinoise dans sa chambre d’hôtel qui regarde à la fenêtre et trouve dans un paysage désolé d’arrière-cour cette fleur, toujours discrète mais qui lui offre l’espace d’un moment sa couleur et un horizon dégagé. A l’ombre du paysage se trouve une métaphore qui permet à l’œil de s’ouvrir. L’image devient une fleur, la métaphore devient le signe d’une métaflore.
« La tristesse durera toujours »
De cette construction du paysage, nous pouvons finalement revenir au titre Yamabuki. Le signe devient une figure qui circule à l’intérieur de ce paysage et donne à voir la couleur silencieuse de ce que Brecht nommait la « mélancolérie ». La colère est silencieuse mais surtout elle dit la mélancolie d’une communauté qui durera toujours.
Entre le jaune et le gris, Yamasaki creuse sa métaphore sans la déterrer. Elle nous indique plutôt qu’il faut la laisser respirer à flanc de montagne, à l’ombre du soleil et du chemin, s’offrant à qui peut la regarder. Le geste de la fille s’oppose à celui du père, l’une creuse et l’autre déterre mais ces contradictions du paysage donnent au geste d’une communauté la totalité d’un paysage. La métaflore de Yamasaki trouve son style et son image, la seule finalement qui peut donner « une éternité au style » comme le suggérait Proust.
Bande-annonce de Yamabuki
Entretien croisé entre Juichiro Yamasaki, réalisateur de Yamabuki et Thomas Paulot, cinéaste de l'ACID
Je préfère lire les images que les regarder. J’essaie de trouver le chemin entre le bord et la marge. Au cinéma j’essaie de me mettre au milieu de la salle pour ne pas sentir le cadre débordé. J’accepte les dormeurs au cinéma. Ils me donnent l’impression que la séance n’existe pas. Et j’aime bien sentir que tout cela est n'est qu'une projection.
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La photographie du film captée en 16mm a l’air de particulièrement coller avec le propos de Yamabuki. La mélancolérie comme tu dis. Belle analyse au passage !
Très chouette analyse qui donne envie de découvrir le film (qui ne sort malheureusement pas par chez moi…), faudra attendre le bluray 😉
Bravo pour ton analyse Loïc, elle m’a directement donné envie de le découvrir. 😉
En passant, la (superbe) captation 16 mm semble terriblement à-propos.