« Je te l’avais bien dit » : voilà ce que nous scande en italien le titre du second long-métrage de Ginevra Elkann présenté au festival de Toronto en septembre dernier et repris au GIFF (Geneva International Film Festival). Une comédie noire suffocante, mélancolique tout en étant résolument drôle et barrée. Un véritable choc de cinéma féminin et féministe !

Fin d'un monde

Comme une ambiance de fin de siècle dans ce long-métrage choral dépeignant l’existence simultanée de trois femmes au sein d’une Italie à la dérive. Caterina (Alba Rohrwacher), une mère alcoolique ayant perdu la garde de son gosse, Pupa (Valeria Golino) une pornstar courant après sa jeunesse perdue et Gianna (Valeria Bruni Tedeschi) une veuve larguée, obsédée par dieu et nourrissant une jalousie méritée mais diablement psychotique, voilà qui n’augure rien de bon. Mais l’accumulation de ces soucis personnels dans une Italie où le mercure n’annonce pas moins de cinquante degrés en plein mois de janvier, rien de tel pour mitonner un parfait cocktail explosif !

A ce résumé, vous aurez sans doute l’impression d’avoir affaire à un film plombant, et dieu sait si ce n’est pas le cas ! Te l’avevo detto, s’il transpire effectivement d’une mélancolie tenace dans sa galerie de personnages pathétiques mais ô combien attachants, est avant tout une comédie bien noire. Impossible de résister au comique entourant le personnage fou incarné par Valeria Bruni Tedeschi, perdu entre pulsions sexuelles violentes et repentance christique, tentant vainement de trouver l’absolution auprès du Père Bill (Danny Huston qui a décidément travaillé son accent italien), un curé héroïnomane et suicidaire. Impossible de ne pas rire – jaune – devant le portrait de cette Pupa faite de botox et de faux-cils, entourée par ses chats et les dizaines d’affiches de ses succès passés dans le monde du cinéma pornographique. Même chose avec la troisième protagoniste, une alcoolique jurant sa sobriété entre deux verres de whisky.

La cocotte minute

Formellement, Te l’avevo detto est aussi surprenant par ses ambiances jaunâtres, crépusculaires, ses pièces encombrées d’une brume tenace. L’image suinte de cette chaleur malade qui rend fou les personnages et étouffe le spectateur, les poussant tous vers un dégorgeoir où, haletants, convulsant, ils s’en vont tous finir. Et plus le brouillard se densifie, plus la température élargit les auréoles maculant les chemises des protagonistes, plus une mélancolie tenace prend le pas dans le récit. Ces personnages au crépuscule de leur vie s’agitent pour prolonger de quelques instants leur débandade terrestre, et c’en est autant touchant que pathétique.

Te l’avevo detto sera, on vous l’assure, un film qui fera date. Surprenant, osé, sans le moindre doute clivant, il offre une vision du féminin et de la vie qui s’échappe rarement vue au cinéma. Un film qui a bouleversé la programmation du GIFF – puisqu’ajouté à la toute dernière minute – et à raison… Il en marque, à mi-festival, assurément l’un des point d’orgue les plus percutants ! Ne reste donc plus qu’à attendre fébrilement sa sortie en salles et à patienter en découvrant le premier film de Ginevra Elkann, Magari, sorti en 2019.

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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[…] mouvement qui en résulte. Et en ce sens, il est impossible de ne pas rapprocher Le Ciel rouge de Te l’avevo detto de Ginevra Elkann (autre film brûlant d’actualité, autre film d’été, qu’on espère […]

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