Pénélope mon amour est un assemblage d’images d’archives cousues par la voix de Claire Doyon, cinéaste mais surtout mère. Créé comme une lettre hurlant son amour pour sa fille autiste, Pénélope, le film passe de la joie de la naissance à l’uppercut du diagnostic, en slalomant entre toutes les étapes d’une vie pas comme les autres.

Patchwork cinématographique

Le projet de cinéma est particulier et a germé, de l’aveu même de la cinéaste, relativement tard : lors d’un rangement, elle tombe sur un placard regorgeant de 15 ans de vie de Pénélope. Claire Doyon va alors s’atteler à défricher cette manne d’images, alternant miniDV (le DV, Digital Video, étant ce format amorçant la transition au numérique au cachet si particulier, exploré notamment par Lynch dans Inland Empire), bobines Super 8 mais également du HD. Elle va alors rassembler ces pans de vie, par ordre chronologique ou presque : Pénélope mon amour débute par l’annonce du trop-plein, de l’impossibilité de vivre ensemble, d’une séparation nécessaire entre la mère et la fille. Un plan immédiatement poignant, un crève-cœur qui dérobe au spectateur tout espoir de « guérison ».

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Car Pénélope mon amour, s’il explore le désir de guérison, n’en fait jamais son ressort narratif. Pénélope n’ira pas mieux, le tout premier plan du film nous l’annonce d’emblée. Au contraire, ce que nous suivons tout au long du documentaire, c’est la gestation d’un regard, la stratification des désirs de ses parents et plus particulièrement de sa mère : d’abord un déni quant à ce qui touche sa fille, puis l’annonce horriblement brutale du diagnostic, immédiatement la volonté de guérison (et la multiplication des espoirs, d’abord médicaux, puis de plus en plus ésotériques à mesure que s’impose l’inéluctable), « la guerre » comme l’appelle la mère, puis finalement l’acceptation de l’autre et de ses différences.

Pénélope mon amour

Le cinéma comme seule défense

Car Claire Doyon ne s’est pas penchée sur le cinéma pour mettre en lumière la vie de sa fille : diplômée de la FEMIS, elle est déjà réalisatrice de nombreux films et court-métrages reconnus internationalement. Nous pourrions citer Kataï, Les Allées sombres, Arsenic, Chrishna/Ombwiri, ou encore Pénélope qui se concentrait déjà sur sa fille et un voyage entrepris en Mongolie avec elle. Un moment fort repris dans le présent documentaire, où l’agitation et les gestes désordonnés semblent peu à peu se calmer face à la nature, aux paysages grandioses, au contact avec ces enfants d’une autre normalité que celle ayant cours en France métropolitaine.

Pénélope mon amour

« La caméra est un bouclier qui nous protège du regard des autres. C’est aussi l’arme qui me permet de résister. »

Le cinéma comme générateur de poésie

Une translation passionnante de l’a-normalité à une autre forme de normalité, que la caméra permet de capter : les gestes stéréotypés deviennent, devant l’objectif de Doyon, une danse. Ses mots une poésie. Et malgré l’horreur de certains segments – une horreur viscérale, décrite par la voix blanche de la cinéaste – et l’inéluctable fin annoncée dès le début du long-métrage, malgré le désespoir qui transparait de certaines scènes, la caméra permet à Doyon de tenir. De créer du sens. Et surtout elle révoque ce langage rendu impossible, en mettant en lumière les mots muets de Pénélope. L’image nous laisse entrapercevoir des paysages que nous autres « normopathes » ne pouvons guère imaginer et redessine les contours de ce que nous nommons « normalité ».

Pénélope mon amour

Un film à rapprocher du poignant Sais-tu pourquoi je saute ?, où le cinéma permet de créer une carte de l’esprit des gens autistes pour nous inviter à comprendre leur monde. Échappant à toute essentialisation, alternant entre poésie et désespoir, entre lumières et ténèbres, Pénélope mon amour secoue son spectateur sur un sujet que l’on aura rarement vu aussi bien traité au cinéma. Un documentaire magistral, à (re)découvrir en format physique.

En complément de Pénélope mon amour, le court-métrage It’s Raining Cats and Dogs (en bonus au sein de l’édition DVD), dans lequel Claire Doyon s’entretient avec une autiste Asperger adulte, permet d’appréhender leur perception du monde et leur manière d’y exister.

Fiche technique

DVD Zone B (France)
Éditeur : Blaq Out
Durée : 88 min
Date de sortie : 02 mai 2023

Format vidéo : 576p/25 – 1.37 et 1.78
Bande-son : Français Dolby Digital 5.1 (et 2.0)
Sous-titres : Français

Pénélope mon amour

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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[…] peine visibles, d’autre fois plus. Et elles questionnent notre normalité, à l’instar de Pénélope mon amour où Claire Doyon filme avec une tendresse poignante l’autisme de sa fille. Et au gré des […]

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