Eva est bruiteuse pour l’industrie publicitaire. Alors qu’elle remplace sa sœur internée à l’hôpital, elle reprend l’œuvre de cette dernière pour réaliser un spot publicitaire de lutte contre la dépression grâce à l’équithérapie. Introvertie, Eva s’investit corps et âme jusqu’à ce qu’une véritable queue de cheval pousse sur son coccyx, ce qui lui ouvre de nouveaux horizons sexuels avec un botaniste qui n’apprécie pas que les fougères. Ofni du festival fantastique de Gérardmer, Piaffe coche toutes les cases d’un objet arty quitte à parfois friser la caricature de vitrine LGBTQ+ par ses gros sabots. On analyse la bête en vidéo depuis les Vosges.
Notre critique de Piaffe
Piaffe est le premier long-métrage d’une réalisatrice avant tout plasticienne. Expérimental de bout en bout, il faut lui reconnaître un certain cachet hors du temps avec son format 1:66, tourné en Super 16, sa patine argentique et ses couleurs pop qui saisissent la rétine non sans rappeler les premiers films en Technicolor. La caméra est posée et ne s’emballe que lorsque Eva perd l’étrier, rattrapée par un travail épuisant psychologiquement. On sent d’entrée de jeu le passage d’Ann Oren aux Beaux-Arts comme l’influence berlinoise pour les scènes (très réussies) des clubs underground. Elégante, la photographie sait poser son ambiance en mettant en avant la performance de Simone Bucio, qui n’hésitera pas à enfiler les mors pour mimer le hennissement métallique déformé par la pression impulsée par le cavalier.
Malheureusement, passée la surprise visuelle, le film s’étiole en appliquant peut-être trop mécaniquement des thèmes sociétaux contemporains sur cet exercice de style froid et austère. La métaphore de cette technique de dressage, qu’on appelle dans le jargon le « piaffe », devient quasi-scolaire, prétexte à un discours sur la sexualité non binaire et l’émancipation personnelle. Ce mouvement du piaffe serait l’un des plus complexes du dressage, au sens où le cavalier doit amener sa monture à agir au maximum de l’indépendance afin d’obtenir un résultat, naturel, décontracté et harmonieux. C’est l’une des figures qui conjugue paradoxalement l’illusion d’une allure cadencée à la parfaite inertie.
Rapport de confiance entre les deux partenaires, la technique du piaffe va être filée et décalquée avec la relation anonyme et soudaine d’Eva avec un botaniste. Ce dernier est coutumier d’une autre forme de dressage puisqu’il ligature les bourgeons pour mieux orienter leurs courbes. C’est tout naturellement qu’il s’adonne à des passions libertines du même ordre. Avare en termes de dialogues, Piaffe préfère communiquer par les corps. Entre érotisme larvé, fétichisme et bondage, Ann Oren décalque tous les attributs d’une sexualité longtemps jugée déviante et aujourd’hui (ré)affirmée par la pluralité des corps, des sexes et des identités en tous genres.
Ces supposées « déviances » trouvent échos au travers de la scène de la radiographie, prélude de l’acceptation d’Eva et victoire du soi sur le regard des autres. C’est aussi la revanche d’un autre possible sur des images monochromes véhiculées par le monde publicitaire qui, par définition, écrase l’individu et condamne la différence. Jusque-là, pourquoi pas mais le film tombe trop facilement dans des métaphores bon marché qu’on devine à vue d’œil.
Du discours cliché du botaniste sur le mode de reproduction (évidemment non binaire) des fougères au bondage langoureux, c’est une autre représentation de la sexualité qui s’exhibe reprenant toutes les tendances slow sex and co de notre époque, si friande des étiquettes pour profil corporate averti. De la promotion de l’absence de pénétration (honnie par tout bon article psycho de Maia Mazaurette) à l’urine dédiabolisée, on a parfois l’impression d’avoir le parfait reflet d’une caricature renversée des représentations d’un patriarcat rabougri. Je ne parle pas davantage des scènes dénonçant le mansplaining, ni la figure gratuite de la sœur transgenre et exubérante. En cherchant la transgression à tout prix, Piaffe ne finit-il pas par renforcer un cahier des charges trop convenu ? L’anticonformisme devenu conformisme à l’ère de la postmodernité ? Le film coche même la case “brûlure de cigarettes” pour ancrer définitivement Piaffe dans la rubrique indé de deuxième partie de soirée d’Arte.
Conjugué à une construction axée sur la répétition, Piaffe s’embourbe et le spectateur grille trop vite les grosses cartouches d’un film qui a peu d’ambition narrative et se repose sans doute trop sur sa plastique. C’est bien dommage car ce métrage avait des attributs à faire valoir, notamment sur le parallèle autrement plus réussi entre la danse et l’accomplissement de soi. Quoi de mieux qu’un club berlinois pour revendiquer un horizon cosmopolite où les corps ne sont plus définis par des identités civiles mais par le désir d’être soi ou un autre, l’espace d’un soir ou d’une vie ?
On saluera d’ailleurs la remarquable performance de Simone Bucio qui accomplira une variante du piaffe dans cet environnement tekno acidulé. Malgré ces quelques fulgurances formelles, l’ancrage militant devenue mécanique autonome prête à sourire si bien que Piaffe manque le coche. Avec sa sensibilité singulière, le film reste une curiosité qu’on réservera aux fans les plus aguerris d’ASMR. Si l’on a eu bien plus de mal à trouver des qualités à La Montagne (2022) avec qui Piaffe partage le prix du jury, on comprend bien plus le choix de ce dernier sur ce premier film d’auteur qui, à défaut de réussir son galop, reste un coup d’essai aventureux d’une réalisatrice qui cherche sa voie par l’expérimentation.
Ann Oren signe son premier long-métrage avec Piaffe
Née à Tel-Aviv, elle étudie le cinéma et les beaux-arts à l’École d’arts visuels de New York. Ses travaux sont exposés dans de nombreuses institutions, dont le musée de Tel-Aviv, l’Anthology Film Archives de New York et le Centre d’art contemporain KINDL à Berlin. Ce n’est qu’en 2015 qu’elle se tourne vers le cinéma qu’elle réalise plusieurs courts métrages, dont Passage (2020) qui reçoit le Grand Prix du jury du Festival de Slamdance. Piaffe est son premier long métrage récompensé du prix du jury de Gérardmer.
Bande-annonce de Piaffe
Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.
Nyctalope comme Riddick et pourvu d’une très bonne ouïe, je suis prêt à bondir sur les éditions physiques et les plateformes de SVOD. Mais si la qualité n'est pas au rendez-vous, gare à la morsure ! #WeLovePhysicalMedia
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J’aime bien généralement ces films au pitch complètement barré :-p
Il mérite le coup d’œil de toute façon. 😉