A mesure que l’on avance dans sa cinéphilie, il arrive de plus en plus rarement de tomber sur une ancienne pépite dont on n’a jamais entendu parler avant. Ce fût assurément le cas avec l’OVNI Les Yeux de feu de Avery Crounse, mêlant western et folk-horror, qui mérite amplement aujourd’hui son magnifique coffret combo Blu-ray / double DVD chez Rimini, avec sa tripotée de bonus. Alors enfilez vos bottes montantes, vous vous apprêtez à pénétrer d’étranges forêts perdues recelant de lourds secrets…

Mystère dans les bois de Davy Crockett

1750, au fin fond des Etats-Unis. Le pasteur Will Smythe (Dennis Lipscomb) ainsi que la communauté qui l’entoure doivent quitter leur village, après de lourds soupçons d’union peu vertueuses entre l’homme de foi et deux dames de sa communauté. Ces deux femmes sont Eloise (Rebecca Stanley), dont le mari trappeur sillonne constamment la forêt et Leah (Karlene Crockett), une jeune femme considérée comme dérangée mentalement. Si leur périple devient rapidement scabreux lorsque les populations d’indiens se montrent hostiles à leur présence, le petit groupe parvient toutefois à trouver une vallée inexplorée où s’installer, qui ressemble bien à un havre de paix. Pourtant, ils sont bien inconscients des dangers que couvent ces bois à l’apparence paisible…

Lorsque nous avons évoqué le méconnu long-métrage de John Ford Les Cavaliers, nous glosions d’à quel point ce western se détournait des codes inhérents au genre. Sa gamme chromatique lorgne constamment vers le vert, les plans sont corsetés plutôt qu’étirés, l’Amérique représentée est plutôt campagnarde que désertique… Si Avery Crounse, le réalisateur des Yeux de feu, s’offre de magnifiques plans larges qui embrassent les paysages assez grandioses que recèle le film, les autres qualificatifs s’appliquent parfaitement au long-métrage. La végétation est partout, envahit l’écran, les personnages sont noyés dans un véritable enfer vert, splendide au premier regard, mais résolument vénéneux.

Un choix d’inclusion de la nature dans le plan qui offre, nous l’avons déjà évoqué, d’assez magnifiques scènes (la descente de la rivière sur leur radeau de fortune semble être infusé de l’ambiance poisseuse et en même temps splendide d’Apocalypse Now sorti quelques années auparavant), mais permet surtout de faire de cette nature un des personnages principaux des Yeux de feu. A l’instar de Walkabout de Nicolas Roeg, le film propose une véritable vision animiste qui traverse le long-métrage. Sauf qu’au lieu de rester dans une veine purement contemplative, Les Yeux de feu va petit à petit verser dans une folk horror sensorielle et granuleuse qui empêtrera ses plans d’assez géniaux moments de frousse.

"Walkabout", de Nicolas Roeg (1971)

Du Wicker Man à l'homme de boue

En effet, le film va être traversé de visions d’horreur de plus en plus prenantes. Entre cette femme bêchant une terre grasse qui va finir par littéralement éclater un visage enfoui dans la glaise en une explosion d’hémoglobine, à ces étranges corps nus, maculés de terre, qui poursuivent parfois les protagonistes durant la nuit, Les Yeux de feu offrent des visions horrifiques qui frappent et restent gravées dans la rétine. Si certains effets visuels (surimpressions, effets de lumière,…) fleurent bon les eighties et offrent un cachet désuet au film, ce sont surtout ces véritables trouvailles de mise en scène qui restent en mémoire et qui n’ont pas à rougir face à l’effigie du genre folk horror – The Wicker Man – sorti dix ans plus tôt.

C’est d’ailleurs probablement à cause de la maestria de cette figure de proue de la folk horror qu’on a si peu entendu parler des  Yeux de feu, malgré ses passages plus que réussis et ses scènes marquantes. On peut toutefois voir l’influence du film de Crounse dans le récent The Witch de Robert Eggers dont on ne doute pas qu’il le citerait volontiers dans ses références. Reste que Les Yeux de feu sort dans un magnifique coffret* grâce à Rimini Éditions, gageons qu’il sache donner au film toute la reconnaissance qu’il mérite !

* L'édition collector limitée boîtier Digipack 3 volets avec étui contient le Blu-ray du film en version cinéma (86', VF/VOST) et version longue intitulé Crying Blue Sky (109', VOST), le DVD du film en version cinéma (83', VF/VOST), le DVD du film en version longue intitulé Crying Blue Sky (104', VOST), le livret Avery Crounse, entre deux mondes écrit par Marc Toullec (24 pages) et en bonus sur le Blu-ray, Le Secret repose dans les arbres : Interview de Avery Crounse par Stephen Thrower, historien du cinéma (28').

 Fiche technique

Blu-ray Région B (France)
Éditeur : Rimini Éditions
Durée : 86 min
Date de sortie : 13 février 2025

Format vidéo : 1080p/24 – 1.85
Bande-son : Français et Anglais DTS-HD MA 2.0 mono
Sous-titres : Français

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Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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