Sans doute pas le plus connu des films de l’impressionnante carrière de John Ford (environ 130 films étalés sur un demi-siècle), Les Cavaliers n’en est pas moins un long-métrage passionnant à mettre en perspective de ses œuvres les plus célèbres. Profitant d’une version restaurée chez Rimini Editions en un joli coffret accompagné du bouquin John Ford, Monument Man : le réalisateur et ses westerns écrit par Marc Toullec, retour galopant sur Les Cavaliers (a.k.a. The Horse soldiers).

Where is the horizon ?

Un détachement de la cavalerie nordiste met cap au sud avec un but bien précis : détruire une ligne de chemin de fer pour isoler l’ennemi sudiste. Menés par Colonel Marlowe (ce bon vieux briscard de John Wayne) flanqué d’un médécin-major que tout oppose (William Holden), ils vont tomber sur une sudiste revêche (Constance Towers) en cours de route. Elle va être forcée à les suivre dans leur périple…

Le cinéma couleur de John Ford est un cinéma résolument ocre, filmant les larges étendues américaines écrasées par l’azur plombant de ce ciel semblant infini. Pour Les Cavaliers, Ford effectue un virage à 180 degrés : exit les grandioses grands espaces américain, Ford se concentre sur une Amérique campagnarde, plus corsetée dans le plan, et aux couleurs résolument plus vertes. Un changement chromatique drastique qui se traduit également dans ce qu’explore Les Cavaliers.

Un plan de "La Prisonnière du désert" (1956)

En effet, si le monsieur était passionné par la guerre civile Américaine, il n’avait jamais traité de ce thème-là dans sa monstrueuse filmographie. C’est désormais chose faite avec Les Cavaliers, récit basé sur une histoire vraie, qui explore avec une certaine ambivalence l’histoire de son pays déchiré. Invariablement politique, Les Cavaliers évite tout manichéisme et se drape d’un humour slapstick assez étonnant. Le réac’ Ford, si patriote, si attaché à ses valeurs (catho irlandais, fier de son armée, pas forcément à la pointe de l’anti-racisme même si Le Sergent noir un an plus tard reste relativement audacieux pour l’époque) s’adoucirait ?  Peut-être bien. En tous cas, difficile de voir Les Cavaliers sans y déceler une pointe d’auto-réflexion sur sa propre carrière et cela en fait à coup sûr un long-métrage passionnant.

La mélodie du malheur

Clin d’œil à la B.O. de La Prisonnière du Désert (1956), la musique dans Les Cavaliers est une variation autour d’une marche de guerre : fifres, clairons et choeurs,  elle vient rythmer le long-métrage à intervalles réguliers. Orchestrée par David Buttolph qui passe après Alfred Newman (compositeur de bon nombre des chefs-d’œuvre fordiens), elle saura en cours de film autant lancer Les Cavaliers avec une scène aussi enivrante qu’étonnante (cette longue procession de cavaliers, reprise dans la vidéo ci-dessous) qu’accompagner des moments beaucoup plus mélancoliques.

L'anti-John Ford ?

Si formellement le film est très différent des autres westerns fordiens, il se veut également assurément déceptif pour les attentes d’un habitué de Ford. Plus coincé, plus étriqué, les attaques n’ont pas le panache de ses autres films. L’issue des affrontements n’est pas exalté. Les combats ressemblent plus à de froids massacres, où l’héroïsme peine à trouver sa place. Dur d’en faire autre chose à partir du matériau originel du long-métrage et du positionnement politique du réalisateur : Ford se revendiquait en effet comme Nordiste, mais ne cachait pas son respect pour les combattants du Sud.

"Le Cheval de fer" (1924)

Plus encore, et ça en devient méta-textuel, Ford organise ici le démantèlement d’une voie ferrée plus de trente ans après avoir filmé l’exact-opposé dans Le Cheval de Fer (1924). Cela annonce un certain mouvement dans la carrière de John Ford : celui qui filmait la construction transcontinentale d’un chemin de fer unissant les USA colle désormais à sa pellicule son démantèlement. Pire, il en inverse le mouvement. De l’horizontalité dans Le Cheval de Fer, il passe à une verticalité Nord-Sud dans Les Cavaliers. Un cheminement antithétique qui ne mène surtout nulle part. Le but est flou, le trajet inabouti.

Intéressant lorsque l’on sait que le film lui-même est le résultat d’un inaboutissement tragique pour le réalisateur. En effet, son ami et cascadeur Fred Kennedy meurt lors du tournage de l’une des dernières scènes du film à cause d’une brutale chute de cheval. Un deuil impossible pour Ford qui fût dévasté par cette mort et qui réécrit complètement le fin de son long-métrage : au lieu d’un retour triomphant de Marlowe, Les Cavaliers se clôt sur un adieu en demi-teinte.

Bref, vous l’aurez compris, Les Cavaliers est un John Ford atypique, qui offre à son spectateur un terreau fertile pour creuser dans la carrière de l’iconoclaste réalisateur américain. Sa sortie restaurée en Blu-ray/DVD par Rimini Editions au sein d’une édition limitée mediabook, offrira la possibilité de s’y replonger, mais aussi et surtout de prolonger le visionnage avec de nombreux bonus dont le livre de 184 pages « John FORD, Monument Man: le réalisateur et ses westerns » écrit par Marc Toullec.

Fiche technique

Blu-ray Région B (France)
Éditeur : Rimini Editions
Durée : 120 min
Date de sortie : 06 novembre 2024

Format vidéo : 1080p/24 – 1.85
Bande-son : Anglais et Français DTS-HD MA 2.0
Sous-titres : Français

Les Cavaliers

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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[…] nous avons évoqué le méconnu long-métrage de John Ford Les Cavaliers, nous glosions d’à quel point ce western se détournait des codes inhérents au genre. Sa […]

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