Après le décapant Oranges Sanguines, Jean-Christophe Meurisse s’attaque à un fait-divers qui a secoué la France pour nous pondre une comédie (très) noire et surtout hilarante, proposée dans la sélection de la 23e édition du NIFFF. Retour sur ce long-métrage à cheval entre l’absurde et l’humour noir, qui a rendu hilare le public du festival helvétique…
Xavier Bernardin de Ligonnès
Léa (Delphine Baril) et Christine (Charlotte Laemmel), enquêtrices Facebook invétérées spécialisées dans l’affaire Bernardin, semblent enfin tenir le bon fil pour coincer celui qui est recherché par la France entière après avoir massacré toute sa famille. En même temps, les journaux télévisés indiquent qu’un suspect répondant au signalement du tueur aurait été appréhendé au nord de l’Europe. Voilà le point de départ de cette comédie acide qui, de sketch en sketch, revisite l’histoire de ce mythique assassin.
Si durant tout le film on renomme le tueur tant recherché par le patronyme de Paul Bernardin (interprété par Laurent Stocker), l’affiche elle-même avoue d’emblée son inspiration évidente : l’Affaire Dupont de Ligonnès. En effet, c’est la tête du tueur encore recherché aujourd’hui – Xavier Dupont de Ligonnès – qui trône sur les posters du film, vieilli numériquement et avec la mention “On l’a retrouvé !”. Il faut dire qu’il fallait oser s’attaquer à cette véritable figure médiatique, qui a rendu folle la France depuis sa disparition le 15 avril 2011, juste après avoir tué femme et enfants.
Et Jean-Christophe Meurisse ne s’interdit pas de sonder tous les travers qui entourent ce fait-divers, entre le véritable naufrage médiatique (dont les enquêtrices Facebook en carton en sont le parangon), l’attrait morbide du public pour ces figures tutélaires du sordide et l’efficacité policière parfois un brin douteuse. Exit l’affaire en elle-même (qui ne concerne qu’une part infime du long-métrage), Meurisse se penche sur la galaxie de tordus et d’incapables qui commencent à graviter autour de la figure du meurtrier au lendemain de ses assassinats dans une galerie de sketchs aussi acides que décapants.
Chien de Navarre
Réveiller le punk, voilà ce qui pourrait être le credo des Chiens de Navarre. La troupe de théâtre de Jean-Christophe Meurisse s’est faite connaître par son humour cru, ses scènes laissant une bonne part à l’improvisation et sa brèche amenant du sexe et du sang sur les planches de théâtre. Et toutes ces caractéristiques, Meurisse les a trainées avec lui pour son passage au grand-écran avec Oranges sanguines.
Avec ses titres construits comme des cadavre exquis, Meurisse pourrit de l’intérieur son dispositif. Ses oranges sanguines dégorgeaient d’un sang sale et d’une pulpe résolument punk, dans des sketchs alternant entre la comédie absurde et la franche horreur ultra-sanguinolente. Un cadavre exquis comme titre donc, mais aussi un cadavre exquis de genres, sans limitations ou auto-censure (bien au contraire !), sondant une société française paupérisée à l’heure des gilets jaunes et déployant cinquante nuances de désespoir.
Pour Les Pistolets en plastique, Meurisse n’abandonne ni ses titres absurdes, ni sa perméabilité aux genres. Ce qui change c’est d’une part son casting – intégrant avec les gueules de théâtres des figures plus identifiées du cinéma ou de l’humour, comme Jonathan Cohen, Nora Hamzawi ou encore Vincent Dedienne – d’autre part une place plus grande laissée au pur humour. Car si devant Oranges sanguines on riait jaune ou on crissait des dents, Les Pistolets en plastique proposent un humour franc, certes noir mais diablement irrésistible.
Gueules de cinéma
Écrit avec sa compagne Amélie Philippe, qui tient également un petit rôle dans le long-métrage, Les Pistolets en plastique avance de sketch en sketch dans un rythme endiablé, immédiatement lancé par cette scène dans une morgue où Jonathan Cohen (Johnny) et Fred Tousch (John), dans une semi-impro palpable, discutent en trifouillant un cadavre.
Autre gueule marquante : Aymeric Lompret. Après avoir quitté France Inter dans la foulée du licenciement de Guillaume Meurice, il assure dans son rôle de flic franchouillard tentant aux côtés de Vincent Dedienne de dialoguer en anglais avec la police dannoise. S’il s’agit de l’un de ses tous premiers rôles au cinéma, nul doute que les comédies françaises gagneraient à lorgner du côté de cette nouvelle tête de casting, aussi hilarant dans le film que dans (feu) ses chroniques radiophoniques (dont son incroyable explication de blague à la direction de France Inter, faisant penser au fameux “Le Dessin satirique expliqué aux cons” publié dans Charlie Hebdo par Luz, voir ci-dessous).
Dernière (et pas des moindres !) de ces gueules de cinéma présentes dans Les Pistolets en plastique, Charlotte Laemmel qui joue l’une de ces inénarrables enquêtrices Facebook en quête du grand frisson. Sous sa douceur ouatée et son personnage d’un apparent ennui abyssal, l’actrice parvient à incarner une médiocrité terne qu’elle tord à mesure du film jusqu’à laisser entrevoir une folie franchement terrifiante.
Le duo qu’elle partage avec Delphine Baril est sans doute ce que le film recèle de plus fort et de plus drôle. A mesure de leurs rencontres – une concierge bavarde et son interminable soliloque raciste, l’agente de la compagnie aérienne et finalement le simili-Bernardin lui-même – ce duo de cinéma fait bondir le film de fou-rire en fou-rire.
Conclusion
Bref, vous l’aurez compris, Les Pistolets en plastique a autant su conquérir nos zygomatiques que rendu hilare le public du Théâtre du Passage de la 23e édition du NIFFF, découvrant le film au même moment que se nouait la victoire du NFP en France. Gageons qu’il donne des idées à Hanouna, Marine, Jordan et tous les fascistes à la petite semaine pour aller, à l’instar de Bernardin, couler des jours heureux de l’autre côté de la Terre…
D’ici là, nous pourrons toujours nous détendre les zygomatiques, nous offrir une sacrée tranche d’humour noir et méditer un peu sur les travers de l’époque grâce au travail de Jean-Christophe Meurisse, qui a par ailleurs d’ores et déjà annoncé travailler sur une nouvelle pièce de théâtre. Affaire à suivre…
Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.
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Je m’en souviendrai de cette séance lancée 5 minutes avant les résultats des législatives. Ascenseur émotionnel. La première partie du film est très très très très bonne. Quel casting ! Faut absolument qu’on aille ensemble voir leur prochaine pièce.
Oui ça fait un bail que je guette les tournées des Chiens de Navarre, mais j’ai jamais réussi à me caler sur une date pas trop loin de chez moi… La prochaine sera la bonne!!