Bijou d’écriture scénaristique, beauté tapageuse de l’image, Le Ravissement est une véritable surprise qui vient de débarquer dans nos salles. Croix de bois, croix de fer, si je mens, j’vais en enfer…

Amours flous

Au détour d’une nuit troublée de néons, Lydia (Hafsia Herzi) croise le taiseux Milos (Alexis Manenti). Regards fuyants. Sourires timides. Puis la discussion s’emballe, la nuit s’étire et le couple éphémère abandonne un temps la timidité de façade pour s’adonner à la bestialité qu’une attirance réciproque convoque. Puis Milos disparait… Ne répondant guère à ses messages, la fuyant dans la rue, Lydia retrouve son ballottement anonyme au gré des marées l’emportant et l’arrachant à son travail de sage-femme. Lorsque sa meilleure amie (Nina Meurisse) accouche, un terrible mensonge nait dans l’esprit de Lydia…

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Tricoté à partir d’un bref fait-divers que la jeune réalisatrice Iris Kaltenbäck a entendu, Le Ravissement est également son premier long. Un film jaillissant d’une scène séminale d’accouchement (bel et bien véritable, dont l’aspect documentaire fait écho à un autre film français au féminin : Énorme, de Sophie Letourneur), construite en miroir par rapport à sa scène finale que nous n’allons guère dévoiler. Et au milieu, le pivot du long-métrage : un satané mensonge !

Naissance du mensonge

Car si Le Ravissement fouille évidemment le féminin et l’acte aliénant de donner vie, il explore aussi précisément la mécanique du mensonge. Et cette charnière narrative se joue dans un ascenseur, lorsque Lydia, portant le nourrisson de sa meilleure amie, tombe par hasard sur son ancien amour Milos. Enfermé dans cette boîte tous les deux, le mensonge vient à elle par vagues successives. Pire, il est inséré dans ses propres lèvres lorsqu’on la complimente sur la beauté de son bébé, qui n’est pourtant pas le sien. Elle n’a rien à verbaliser, le mensonge est proféré à sa place. L’englobe. L’oblige. Et ne reste alors que l’omission.

Et cette scène, centrale, ciselée avec une précision d’orfèvre, dialogue parfaitement avec la mise en scène suffocante de cet ascenseur bondé, s’arrêtant de palier en palier. A chaque étage, Lydia pourrait s’échapper. A chaque étage, elle pourrait arrêter le mensonge qu’elle sent naitre dans ses propres lèvres. La porte s’ouvre, le salut est à portée de main, mais irrémédiablement elle reste passive. S’enterre dans cette boîte augurant de plus en plus un cercueil, jusqu’à ce que les clous ne viennent définitivement en clore le couvercle.

Et tout Le Ravissement sera construit ainsi, d’un échange constant entre l’état des personnages et la précision d’une mise en scène au cordeau. Notons de magistrales scènes de maternité, une exploration du travail de sage-femme passionnante et la romance fantasmée qui nait entre nos deux protagonistes, ainsi que des scènes de nuit où Lydia louvoie dans ces rues désertes, l’œil réanimé du seul éclat des néons qui percent la nuit. La solitude souille tout. La nuit écrase. La solitude grandit. Et ce mensonge, constamment calé dans un coin de tête, qui ne laisse aucun répit.

Du drame au thriller

Puis peu à peu, Le Ravissement parvient à faire naître sans artifice aucun une tension qui suintera malgré l’apparente routine dépeinte dans le film. Plan après plan, il grossit, et emporté dans le sillage de Lydia comme un affreux complice, le spectateur sent sa gorge se nouer face à l’inéluctable. Le drame prend alors des airs de thriller, la mélancolie des plans laisse place à une électricité suffocante, notamment grâce à une écriture des personnages d’une justesse rare. Mais l’écriture ne serait rien sans l’interprétation, et dieu sait si Iris Kaltenbäck a visé juste avec son trio de tête.

"La Graine et le Mulet" (2007), par Abdellatif Kechiche

On remarquera en effet les nuances d’Alexis Manenti, la drôlerie triste de Nina Meurisse, tous deux parfaits dans leur rôle. Mais ce serait faire un pléonasme que de vanter la qualité d’actrice d’Hafsia Herzi, toujours aussi géniale peu importe le film qu’elle habite (notamment chez Kechiche, dans La Graine et le Mulet ou encore dans Mektoub My Love).

"Mektoub my love : Canto Uno" (2017), par Abdellatif Kechiche

Ciné au féminin

Côté références, nous évoquions la géniale comédie Énorme, pourtant Le Ravissement fait tout autant penser à un autre film d’une autre jeune réalisatrice : Saint Omer d’Alice Diop. En effet, le lauréat du César du meilleur premier film et Le Ravissement partagent de nombreux thèmes communs : inévitablement l’altérité déstabilisante de la grossesse, l’utilisation du fait-divers, l’analyse du rapport des genres à la conception… Deux films qui trouvent la conclusion de leur narratif dans un hôtel, en bord de mer. Pourtant, là où Saint Omer est un pur film de procès – on ne verra de l’affaire dépeinte rien qu’un bref extrait sonore en début de film – Le Ravissement fait le choix diamétralement opposé : tout montrer sauf le procès.

Bref, la thèse et l’antithèse, les deux facettes d’une même médaille, formant ensemble la promesse d’un cinéma pluriel, féminin et profond. Le Ravissement – outre son titre polysémique parfaitement bien choisi – sera sans doute ce que l’on verra de mieux en termes de drame français cette année. Une proposition unique, à soutenir en salles !

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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