Immersion incognito d’une écrivaine française dans une maison close berlinoise, voilà la promesse de La Maison qui vient de sortir en format physique.

Première fiction tapageuse

Après le documentaire Wonder Boy, Olivier Rousteing, né sous X en 2019 (visible sur Netflix), déjà remarqué aux Césars, la jeune réalisatrice Anissa Bonnefont s’attaque à un sujet encore plus sulfureux : la prostitution. Inspiré de l’autofiction éponyme d’Emma Becker, on y suit donc une écrivaine en panne d’inspiration, Emma (Ana Girardot), choisissant de s’immiscer dans le monde des bordels berlinois pour le décrire de l’intérieur.

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La Maison, c’est l’assurance d’avoir un regard neuf sur une parcelle du milieu de la prostitution. La caractérisation du personnage d’Emma fait en effet plaisir à voir : totalement libre, épanouie sexuellement, faisant ce métier par choix. Une femme détachée du jugement des autres et disposant intégralement de son corps. Voilà un point-de-vue intéressant, dans une période où le droit des femmes avance, certes, mais patauge malheureusement toujours bien loin d’une fantasmée égalité des sexes.

Une parcelle du milieu de la prostitution, disais-je, car la réalisatrice Anissa Bonnefont s’intéresse à l’histoire d’une seule femme – et au travers d’elle d’une fraction de prostituées faisant ce travail par choix – et n’entend jamais dorer l’image du plus vieux métier du monde. Le film l’aborde d’ailleurs et ne laisse planer aucun doute à ce sujet, au combien difficile à traiter sans tomber dans des généralités ou des préjugés.

La Maison (2022)

Passe(s) et repassent

Reste que le film tombe rapidement dans une certaine redondance… En effet, les clients s’enchaînent, de manière quasi-automatique, et au-travers d’eux une vision conceptuelle et plutôt archétypale des fréquentations de la maison close : le beau-gosse, le vieux sympathique, le type violent, le drogué dangereux, le père de famille frustré sexuellement, etc. Cette galerie de personnages masculins semble plus avoir une fonction théorique – confronter Emma à la pluralité des clients du bordel – et en fait un film plutôt programmatique, répondant à la volonté assumée de la réalisatrice : créer du débat. Visuellement, le film reste bien sage et les scènes peinent à se déployer au vu de leur durée toujours très resserrée.

La Maison (2022)

L'exemple mal choisi

De plus, on pourrait reprocher au film d’ériger en femme libre et assumant sa volonté de se prostituer une bourgeoise, le faisant non pas par nécessité financière, mais dans le seul but d’écrire un livre. Il s’agit certes du concept même du matériau de base – le livre de Becker – mais reste une vision bien peu représentative de la réalité… Un peu comme le Ouistreham d’Emmanuel Carrère, où l’on décide de dépeindre le calvaire de la vie de femme de ménage au-travers des yeux d’une journaliste infiltrée dans le milieu, incarnée par Juliette Binoche.

La Maison (2022) - Ouistreham
« Ouistreham », Emmanuel Carrère, 2021

Un film en demi-teinte

Reste que La Maison offre un beau panel de scènes, tantôt étouffantes, tantôt dérangeantes, où l’actrice Ana Girardot se met – au propre et au figuré – à nu. Un pari risqué, mais largement réussi, qu’elle partage aux côtés notamment d’Aure Atika et Rossy de Palma. Notons également la présence au casting de Philippe Rebbot, amenant une touche d’humour et de légèreté à un récit souvent plombant. Bref, La Maison est un défi osé dans le paysage cinématographique français et dénote de l’audace de sa réalisatrice et de son actrice principale, plus qu’il ne parvient à devenir une proposition de cinéma parfaitement aboutie.

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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