Gina Gammell et Riley Keough (aussi actrice, notamment dans Mad Max: Fury Road ou Under The Silver Lake pour ne citer qu’eux) : un duo de femmes aux manettes de War Pony, la Caméra d’Or du Festival de Cannes passé. À l’occasion de sa sortie en format physique, retour sur ce petit bijou de cinéma indépendant américain…

La dèche américaine

Bill, 23 ans. Matho, 12 ans. Un point commun ? Leur appartenance à la tribu amérindienne des Oglala Lakota, vivant dans la réserve de Pine Ridge au fin fond du Dakota du Sud. Et la dèche dans laquelle ils se retrouvent largués. S’en suit un récit choral où s’entre-chassent les tranches de vie de ces deux jeunes hommes. Le premier tente de joindre les deux bouts à coups de petits boulots, navigue entre ses galères sentimentales et se rêve en éleveur de chien après avoir adopté un caniche dénommé Beast. Le second erre avec ses potes, fuyant le foyer familial rongé par le crack, avant de découvrir à quel point la drogue peut en fait être rémunératrice.

Film de coming of age, en bon français, où la peau morte de l’enfance s’arrache trop facilement pour laisser place à un être nu dans un monde d’esquilles. Bill comme Matho se trainent dans ces rues plates, vides, où n’hurlent que les chiens impatients de voir réapparaitre la gueule de leurs maîtres, abrutis par les vapeurs d’un paradis artificiel qu’on sait inaccessible.

Ciné indé

Film indépendant, évidemment. Que viendrait faire Hollywood dans un film montrant la pourriture de tout ce qui a été engendré par le rêve américain ? Film fauché, sûrement. Certains rares effets se font ressentir, même si ce qui frappe d’abord devant War Pony c’est la beauté plastique de sa photographie, la maitrise de ses mouvements de caméra et la composition habile de ses cadres. Une splendeur visuelle magnifiée par le format CinemaScope qu’adopte War Pony, qui embrasse l’horizontale des plans entre plaines steppiques interminables et Shotgun houses à faire rougir Barbare.

Un paysage où point parfois une réminiscence des racines culturelles de leur passé de natifs américains. Un bison, rêvé, surgissant comme un fantôme en pleine rue ou devant une fenêtre fouettée par une neige drue, qu’eux seuls semblent entrapercevoir avant qu’il ne s’évapore à nouveau, noyé par la pourriture amenée dans le sillage de l’homme blanc : drogue, consommation, prostitution, etc.

Sursaut libéral ?

À un moment, le film esquisse un avenir tout tracé de self-made man à l’américaine pour Bill, sauvé par le labeur qu’il trouve, qu’il s’impose et qu’il respecte. Sauvé par l’argent et l’homme blanc ! De quoi transformer War Pony en rêve mouillé de libéral ? Eux qui s’étalent en émissions de télé à louer ceux qui réussissent à partir de rien (et leur fameux matraquage « si on veut, on peut »), comme si l’anomalie était la norme… Et cette célébration télévisuelle de l’individu atomisé, détaché de tout déterminisme, telle que fantasmée par le néo-libéralisme pourra ainsi servir de caution aux puissants (ici, l’homme blanc, propriétaire, résidant hors de la réserve) pour profiter de leurs propres orgies de fric… Un virage scénaristique qui fige le sang, qui effare même ! Mais c’est sans compter sur le duo de réalisatrices aux manettes qui le négocie pour mieux envoyer leur personnage dans le mur. Ici, point de salut, ni du côté de l’argent, ni du côté de l’homme blanc !

Et la musique est là, mystique, faite de cordes pincées et de percussions, annonçant d’emblée la couleur : le piège s’est activé, les mâchoires se referment, peu importe l’espoir qui suinte parfois des plans, la chute n’en sera que plus fracassante. Si l’on pouvait reprocher au film un climax malheureusement parasité par un morceau trop identifié (Come and get your love, de Redbone), le reste du film se laisse porter par ce score original bien senti et des morceaux habilement piochés, tel que Death Threats de Nevad Brave à écouter ci-dessous.

Bref, War Pony est une véritable plongée dans le quotidien de ses deux personnages, dont on ressort groggy d’avoir partagé deux heures de leur quotidien. Un film antithétique, aussi doux que violent, magnifié par le ciselage de son écriture… Une vraie belle surprise de cinéma indépendant, à (re)découvrir désormais en format physique.

Fiche technique

DVD Zone B (France)
Éditeur : Blaq Out
Durée : 111 min
Date de sortie : 19 septembre 2023

Format vidéo : 576p/25 – 2.35
Bande-son : Anglais Dolby Digital 5.1 (et 2.0)
Sous-titres : Français

War Pony

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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