Vous vous êtes forcément posé la question, rivé devant les chaînes d’information en continu : et si ça avait été moi… Si c’était vous, dans la salle du Bataclan, un soir de novembre. Vous ou un proche ? Quel tournant aurait pris votre vie ? Vous n’aurez pas ma haine, l’adaptation du livre éponyme d’Antoine Leiris, vous propose de répondre à cette question.

Le film fantôme

Autant le texte d’Antoine Leiris, au lendemain des attentats, a su faire parler de lui, autant Vous n’aurez pas ma haine version ciné est largement passé sous les radars. Et malheureusement pour lui, il s’attire des critiques plutôt assassines. Pourtant, une part non négligeable du film recèle de belles surprises, sur lesquelles nous allons nous attarder avant de constater pourquoi le long-métrage fâche autant.

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Duo de choc !

Il faut le dire, le duo formé par Pierre Deladonchamps (se glissant dans la peau d’Antoine Leiris) et Camélia Jordana (sa femme Hélène) pète l’écran. L’exposition – même si le spectateur sait pertinemment ce qui va se passer – permet de créer un attachement émotionnel fort pour ce couple et leur gamin, Melvil. Moult détails disséminés dans cette séquence appuient une atmosphère qu’on retrouverait aisément dans le After Life de Ricky Gervais : une nostalgie tenace des derniers instants, un ballotement amer entre la potentialité d’un futur fantasmé et le rouleau compresseur du présent qui nous fait face.

Bref, Vous n’aurez pas ma haine débute sobrement – la mise en scène est plutôt simpliste – mais parvient à toucher le spectateur grâce au déploiement de cet amour banal (de ce couple qui s’aime, qui se désire, qui s’engueule). Malheureusement, cette partie réussie se déroule sur moins de quarante minutes de long-métrage. Reste alors une bonne heure de souffrance…

Vous n'aurez pas ma haine

Et la palme de la chialerie revient à...

En effet, si nous avons loué les segments d’interactions entre les deux acteurs principaux il faut aussi reconnaître que, dans certaines scènes, Pierre Deladonchamps est à l’ouest. Cris et borborygmes insupportables, le tout filmé en gros plan : il était à un doigt d’arracher la palme de la chialerie insupportable à Avec amour et acharnement… Un problème de direction d’acteur qui se ressent quasiment avec tout le reste du casting (les mères de famille à la crèche, les potes, etc.) et donne lieu à des parties réellement lunaires.

Vous n'aurez pas ma haine

Ein Sprachproblem ?

C’est le moment de parler du réalisateur, Kilian Riedhof. Mis à part un film diffusé par Arte en 2011, Homevideo, Riedhof n’a pas beaucoup fait parler de lui de notre côté du Röstigraben… Et pour cause ! On le connaît plutôt pour des réalisations télévisuelles allemandes. Si le postulat de base de filer la barre d’un film sur les attentats à un type sans lien direct avec Paris pouvait sembler judicieux, il peine à nous montrer l’étendue de ses talents. Et c’est un euphémisme ! Outre la problématique direction d’acteurs, nous en parlions, il ne se débrouille guère mieux avec sa caméra.

Réalisation au niveau des pâquerettes

Le plan étalon du film est le gros plan sur le visage, caméra à l’épaule. Un tic de réalisation que l’on retrouve dans bon nombre de drames actuels et qui n’apporte ni originalité, ni plus-value, tout au plus fatigue et énervement. La caméra ne sait pas filmer l’espace, le corps, le mouvement… Et si la mise en scène évolue en fin de film, c’est pour le pire ! Elle va en effet adopter un succédané malickien tombant de nulle part et rageant au possible : lumière rasante, caméra flottante, proximité avec la nature… Niveau subtilité pour indiquer l’apaisement, on a vu mieux.

Vous n'aurez pas ma haine

La Haine

En effet, le jeu maladroit de certains acteurs ou la mise en scène de téléfilm ne sont pas si dérangeants, du moins pas autant que la scène surréaliste entre Deladonchamps/Leiris et le pote de sa femme, qu’il revoit pour la première fois. Ce dernier était dans le Bataclan à ses côtés et, durant un champ-contrechamp des enfers, expliquera en détails les horreurs de l’attentat. N’ayant pas lu le livre, je ne peux dire si cela figure ou non dans le texte originel, mais qu’importe… Riedhof aurait largement pu faire l’impasse.

Le réalisateur, au contraire, en met des couches : le visage de Deladonchamps qui se décompose, une lumière rouge néon qu’on croirait emprunté à un Noé en descente de kétamine et cet ami qui s’étale dans les descriptions atroces de ce qu’a vécu feu Hélène ce soir-là. Une scène qui se suffit à elle-même pour amputer au film tout qualificatif de « pudique » – pourtant récurrent dans les « critiques »/promo – et créer une haine totale contre le film.

Film(s) d'attentat

Alors non, Vous n’aurez pas ma haine n’a pas la pudeur du Revoir Paris d’Alice Winocour. Pas plus qu’il n’a la vigueur énergique du Novembre de Jimenez. Malgré les nombreux défauts de ces deux films, chacun à leur sauce, Vous n’aurez pas ma haine se situe clairement un bon cran au-dessous.

Mais s’il a de quoi énerver, la puissance qu’il arrive à déployer dans son premier tiers m’interdit de le jeter aux oubliettes. Il recèle dans sa première partie de véritables beaux moments, sincères et touchants, qui à eux seuls légitiment le visionnage. Il suffira alors d’opter pour l’avance rapide sur les scènes les plus énervantes et le tour sera joué !

Fiche technique

DVD Zone B (France)
Éditeur : Blaq Out
Durée : 99 min
Date de sortie : 02 mai 2023

Format vidéo : 576p/25 – 2.35
Bande-son : Français Dolby Digital 5.1 (et 2.0)
Sous-titres : Français

Vous n'aurez pas ma haine

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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