Conte pour petits et grands, le dernier long métrage de Benoît Chieux semble tout droit sorti des années 70. A mi-chemin entre le roman Alice au pays des merveilles, La Planète sauvage et la filmographie de Miyazaki, on se laisse emporter par ce récit pétri d’influences de tous bords. Alors qu’une écrivaine de livres de jeunesse s’assoupit après une nuit d’écriture sans relâche, les deux enfants qu’elle devait garder s’aventurent entre les lignes des histoires qu’elle a écrite…
Sacrebleu... qu’est-ce que c’est beau !
Derrière Sirocco et le royaume des courants d’air, il y a la société de production Sacrebleu à qui l’on doit plusieurs films d’animation récompensés dans de nombreux festivals depuis le début des années 2000 (Le Loup Blanc, La Memoria dei Cani, Mon petit frère de la Lune, Chienne d’Histoire). D’emblée, Benoît Chieux confie combien ce projet n’a pas été une mince affaire à financer. Et pourtant, le voilà aujourd’hui sous le feu des projecteurs en ouverture du festival, grâce à un travail qu’on devine de longue haleine.
« Alice, assise auprès de sa sœur sur le gazon, commençait à s’ennuyer de rester là à ne rien faire ; une ou deux fois elle avait jeté les yeux sur le livre que lisait sa sœur ; mais quoi ! pas d’images, pas de dialogues ! »
Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll
A l’image d’Alice qui, frappée d’ennui, suivit le lapin blanc dans son terrier avant de tomber dans une interminable chute, ces deux sœurs de quatre et huit ans vont basculer dans le monde onirique de Sirocco, la faute à un petit bimbelot sorti d’un des livres de leur tante. Ce dernier circule entre les mondes en dessinant une marelle au sol. Dans l’ensemble, l’histoire de Sirocco surprend par sa simplicité qui n’est aucunement synonyme de vacuité.
Au contraire, en jouant sur la figure du « vilain malgré lui » que représente le personnage de Sirocco, un simili dieu qui gouverne les vents, le film de Benoît Chieux lorgne du côté du conte. Chaque personnage, quel qu’il soit, a été privé de quelque chose de précieux et il s’agit de réparer ce qui a été brisé. Les deux sœurettes sont rendues captives par le maire du village, avatar de la reine de Cœur (version crapaud) : l’ainée pour être réduite en mariage avec le laideron du village, la petiote pour être offerte en guise de trophée à une diva locale aussitôt alliée des fillettes. Petit à petit, on se laisse gagner par le récit.
« Mais c’est une histoire triste ! »
La petite Juliette après avoir entendu l'histoire de la diva
Mention spéciale à cette scène magistrale où la diva chante devant une foule extatique. Son public -spectateur inclus- reste suspendu à ses lèvres jusqu’à ce qu’elle dévoile sa voix cristalline issue d’un autre monde. Une performance qui rappelle que les meilleurs films sont ceux qui savent doser l’irruption de la musique au milieu du silence. A ce titre, notons la remarquable OST réalisée par Pablo Pico.
Le bleu du ciel
A l’instar de l’œuvre de Moebius et sa palette de couleurs délavées, Sirocco joue paradoxalement la carte des contrastes en ayant recours à des effusions psychédéliques qui détonnent. Si les références aux ténors du monde de l’animation comme de la BD sont nombreuses, le film sait s’affranchir de ses illustres modèles et affirmer son identité.
Malgré une animation en deçà des standards contemporains (et diamétralement opposée à la vivacité épileptique du dernier Spiderman), Sirocco se démarque par une poésie sincère. On s’attache à ces bestioles bigarrées ainsi qu’à cette magnifique échappée sauvage dans le bleu du ciel. Lorsque les nuages se gonflent et que les bourrasques annoncent la tempête, la patte symboliste de Sirocco fait mouche. A sa manière, Sirocco parvient à réunir des époques avec panache.
Aux antipodes des productions des grandes maisons qui préfèrent souvent l’explication de texte permanente à l’interprétation personnelle, Sirocco a ses parts d’ombre et c’est tant mieux. L’anime fait preuve d’un certain lyrisme jusqu’à son dénouement, certes prévisible, mais d’une puissance symbolique redoutable. Alors que le maire d’Annecy était venu inaugurer le festival, Sirocco était malgré lui une bouffée d’air frais face au ressentiment et à la résignation crasses, qui trop souvent succèdent aux drames. Sortie prévue le 13 décembre 2023.
Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.
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