• Jeu acheté sur Steam et terminé en environ 14h
  • Testé en version originale anglaise
  • Je n’avais jamais fait l’original, seulement Mafia 2 qui m’a laissé un excellent souvenir : ce test ne dressera donc pas un comparatif avec Mafia premier du nom
  • L’arme la plus iconique de la Prohibition et le personnage principal du jeu ont un point commun : saurez-vous deviner lequel ?
  • Réponse : leur surnom pardi !

Comme le disait si bien Ségolène Royal au début des années 2000, alors qu’elle était responsable de la politique familiale française au sein du gouvernement Jospin : « Qu’elle soit mononucléaire ou mafieuse, quoi de plus précieux que la famille ? ». Ce n’est pas Tommy Angelo, protagoniste principal de ce remake du Mafia de 2002, qui contredira l’ancienne prétendante à la présidence. Après la sortie en 2016 d’un Mafia 3 oubliable et honni par la critique, le studio Hangar 13 a cette fois opté pour la sécurité avec un retour aux sources. Difficile en effet de prendre moins de risques qu’avec la refonte d’une valeur sûre. Les développeurs américains sont-ils parvenus à  s’affranchir des nombreux défauts tant techniques que ludiques du troisième opus ? Verdict ci-dessous quant à la teneur du travail de restauration accompli.  Oh et si vous doutez de l’authenticité de la citation plus haut c’est normal.

Un temps que les moins de 100 ans ne peuvent pas connaître

Mafia: Definitive Edition se déroule aux États-Unis durant la Grande Dépression, cette période de l’Histoire qui débute avec le krach boursier de 1929 et s’achève avec la Seconde Guerre Mondiale. Cette époque est aussi marquée par la Prohibition, qui interdit dans un but moral douteux toute fabrication ou vente d’alcool sur le territoire. Ces temps tumultueux ont vu le chômage et la pauvreté exploser. Ainsi en 1933 on parle de 25% de la population active américaine qui était sans-emploi et de 2 millions d’âmes sans domicile fixe, rien que ça. Allons droit au but : c’est sûrement dans sa capacité à retranscrire fidèlement ce contexte historique chargé que le jeu excelle le plus. Les peintures murales de propagande gouvernementale qui font l’apologie de l’abstinence alcoolique, les affiches syndicalistes qui appellent à faire grève contre la baisse des salaires, les brochures de journaux et leurs gros titres alarmistes sur les tensions internationales croissantes : tout contribue à nous immerger dans ce contexte économique et social désespéré. Par ailleurs l’architecture de style Art Deco inspirée du Chicago des années 20/30 subjugue à chaque instant et on se retrouve souvent à orienter la caméra vers le ciel pour mieux profiter du relief des édifices les plus élevés.

Le joueur incarne Thomas Angelo, chauffeur de taxi Italo-Américain sans histoire ni particularité aucune si ce n’est peut-être sa ressemblance troublante et tout sauf fortuite avec Robert De Niro dans Les Affranchis. Conducteur dans la ville fictive de Lost Heaven, le jeune trentenaire se retrouve un soir au mauvais endroit au mauvais moment et contraint d’aider deux inconnus en  fuite suite à un guet-apens. Une fois en sûreté, les deux larrons se révèlent être des hommes de main de Don Salieri, parrain du crime organisé. Les deux criminels remettent une grosse enveloppe à Tommy pour le remercier mais surtout pour acheter son silence. La suite vous la voyez venir : le jeune homme va succomber à  l’appât du gain et finir par rejoindre la famille Salieri, pour le meilleur et pour le pire…

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Jouer avec Tommy c'est jamais fini

Le scénario constitue l’un des points forts du jeu et on se lie très vite à notre héros et à ses états d’âme, voire à certains personnages secondaires plus subtils qu’ils n’y paraissent au premier abord. Il y a effectivement fort à parier que la voix nasillarde de  Paulie ou les imperceptibles sourires en coin du si sérieux Frank Colletti vous feront chaud au cœur. On regrette toutefois une fin un peu trop expéditive et finalement assez convenue. Sans en dévoiler plus, on suit les événements avec implication du début à la fin et la narration, étendue sur plusieurs années via des flash-backs, est très efficace et ménage efficacement le suspense. En outre le jeu dispense sagement ses références cinématographiques sans les balancer au visage et en s’abstenant avec élégance de sombrer dans le catalogue monochrome d’influences. Un autre bon point en somme.

Ce remake de Mafia a parfaitement assimilé les codes de la représentation collective du gangster. Comme l’explique la professeure d’histoire de l’Amérique du Nord à la Sorbonne Annick Foucrier dans le résumé d’un colloque intitulé Le crime organisé à la ville et à l’écran aux États-Unis, 1929-1951 : « […] si peu d’Américains connaissent personnellement des gangsters, ils en ont tous une expérience artistique grâce au cinéma. Vêtus d’un imperméable (susceptible de dissimuler une arme) et d’un chapeau (qui cache leurs traits) à la mode des années 1920, armés de mitraillettes, dites Tommy guns, les gangsters des films circulent dans un environnement urbain confiné, obscur, inquiétant. ». Cet imaginaire commun est ici romancé et représenté avec maîtrise, sans se vouloir trop réaliste non plus, jeu de tir à la troisième personne oblige avec ce que cela implique de massacres dans des entrepôts et de trousses de soins miraculeuses.

« Tu sais Truman, les gens sont aussi faux dehors que dans le monde que j’ai construit pour toi »

Si le jeu évoque au premier contact un monde ouvert façon Rockstar en raison de sa structure de progression similaire aux GTA modernes, ne vous attendez pas pour autant à ce que votre exploration se solde par la découverte de points d’intérêts secondaires. En effet hors de question pour Tommy de disputer une partie de billard en picolant du whisky au bar clandestin du coin avant d’aller écraser des passants en ricanant comme le ferait Trevor. Oh que non ! Il n’y d’ailleurs qu’une petite dizaine de quêtes secondaires accessibles dans un mode Free Ride distinct qu’on lance depuis le menu principal. Il s’agit plus d’une succession de défis absurdes et sans intérêt qu’autre chose et le fait d’avoir volontairement mis ces défis à part prouve bien que Hangar 13 voulait séparer le grain de l’ivraie et ne pas ternir l’ambiance dramatique de la campagne principale avec des poursuites motorisées de soucoupes volantes et autres incongruités loufoques qui auraient plus leur place dans un Saints Row 4.

Le fil conducteur en charge d’assurer la progression est très clair. Il vous fera certes traverser Lost Heaven sous toutes ses latitudes mais il ne vous encouragera jamais non plus à sortir du circuit qui vous est suggéré à grand renfort de losanges jaunes (désactivables dans les options d’affichage). La raison est simple et on touche ici à l’une des premières grosses faiblesses de cette édition définitive : les artifices se révèlent quand on y regarde de plus près. Autrement dit l’immersion en prend un coup dès qu’on sort des sentiers balisés et qu’on cherche à s’aventurer en coulisses. Avec toutes ces enseignes de bars, de salles de spectacles et de barbiers, la déception est immense lorsqu’on réalise tristement qu’il n’y a aucune porte d’entrée pour accéder aux bâtiments en question… C’est d’autant plus regrettable que l’ambiance de film noir crève l’écran, particulièrement à la nuit tombée lorsqu’il pleut et que les lumières des néons se distendent à la surface du macadam détrempé, sur fond de jazz à la radio.

This is your brain... This is your brain on drugs

Dans un registre semblable le comportement erratique de la population civile souffle le froid glacial et nous fait suspecter une consommation précoce de moonshine chez les bébés Lost-Heavenois. Quelquefois c’est carrément une présence paranormale qui semble leur venir en aide ! Combien de fois lors d’une course-poursuite ai-je « par mégarde » heurté un passant à 100 km/h pour le voir subitement être comme tiré par des câbles invisibles puis reprendre sa marche comme si de rien n’était ? Sinon essayez voir de coller une mandale à quelqu’un au hasard dans la rue, tout le monde se laisse faire sauf la police ! Parlons-en d’ailleurs des forces de l’ordre qui passent tantôt de Carl Winslow à Robocop selon le réglage de vigilance choisi dans les options.

Tout cela nous amène à l’intelligence artificielle, proche de la catastrophe. Les ennemis ne cesseront de vous surprendre par leur stupidité lors des fusillades un peu mollassonnes, pour ne pas dire souvent un peu longuettes avec le syndrome du couloir de trop qui fait bâiller. Pour ne citer que quelques situations j’ai régulièrement eu droit à des ennemis qui ne savaient plus comment se mettre à couvert, des petites frappes au pathfinding douteux qui venaient se bloquer dans des palissades ou, summum du cocotier, un individu en imperméable sorti de nulle part qui trottinait bêtement dans un hôtel chic, les poings levés et l’air encore plus hébété qu’une charolaise dans un champs isérois. Je concède que ce bug là m’a bien fait rire. Ne parlons même pas de l’infiltration qui dans ces conditions est aussi dépourvue d’intérêt qu’un pot de mayonnaise vide abandonné au soleil. C’est donc un fort parfum de Truman Show et de Westworld qui se dégage des artères désincarnées de la ville, traversées par des grappes de mannequins robotiques qui n’interagissent aucunement entre eux.

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Quoi ma gueule ? Qu'est-ce qu'elle a ma gueule ?

Graphiquement le jeu est beau sans fioritures. Il faut souligner le cadrage exceptionnel des cutscenes qui embellit les interactions entre les personnages, véhiculant plus habilement l’émotion en renforçant l’aspect cinématographique. On déplorera cependant un malaise lié à l’Uncanny Valley, de temps en temps palpable au travers d’un regard un peu vide. En plus des soucis de collisions évoqués plus haut, ce sont également quelques artefacts visuels malvenus ainsi que des animations rigides qui ternissent parfois l’expérience. On pense par exemple à l’absence de mouvement cohérent pour Tommy lorsqu’il fait feu au volant de sa voiture : qu’il tire en avant, sur les côtés ou en arrière, l’animation ne change pas.

Évoquons pour finir la solide composition inédite de Jesse Harlin et ses échos à l’œuvre de Nino Rota, l’homme derrière ce thème culte. Toute en subtilité, la bande originale nous renvoie avec maestria à certaines obsessions tragiques du film noir comme la fatalité et la trahison. Les doublages ne sont pas en reste et font preuve d’une justesse de tous les instants, jusqu’à nous faire ressentir les tremolos dans les voix. Chapeau aux doubleurs pour leur interprétation. Enfin impossible de ne pas mentionner les magnifiques magazines pulp à ramasser et qui remplacent audacieusement les fameux Playboy vintage de Mafia 2. Si la plupart sont des véritables scans de comics des années 20/30/40, les autres ont été créés spécialement pour l’occasion et je ne résiste pas à l’envie de clôturer ce test avec une poignée de mes artworks favoris.

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Verdict

Avec son contexte historique passionnant et sa représentation visuelle crédible d'une ville américaine des années 30 rongée par le crime organisé, nul doute que ce remake de Mafia sait en mettre plein les mirettes. On ressort ainsi transcendé par son atmosphère pesante de film noir et par sa bande originale aux impulsions mélancoliques et fatalistes, teintées d'une angoisse existentielle latente. Cette refonte moderne jouit en outre d'une mise en scène aux petits oignons. Cette dernière sublime les rapports entre des personnages monstrueux de par leurs actes, mais pour la plupart très attachants car déchirés par des dilemmes intrinsèquement humains. Malheureusement cette réinterprétation de l'œuvre de 2002 n'est pas exempte de travers, la faute à un embryon de gameplay TPS lambda enraciné au début du nouveau millénaire, à quelques errances techniques et à une IA qui frôle de peu le précipice. La plus grosse déception vient toutefois paradoxalement de Lost Heaven elle-même, encensée quelques lignes plus haut, mais qui révèle au grand jour sa désincarnation dès lors qu'on s'affranchit du sentier balisé par le studio. Cela étant dit, aucun de ces défauts ne parvient à éclipser la réussite totale de la narration tant celle-ci nous happe dès les premières minutes de l'aventure, pour ne jamais nous lâcher jusqu'au dénouement. Avec Mafia: Definitive Edition, les développeurs de Hangar 13 nous prouvent qu'ils sont parvenus à quitter les sentiers de la perdition et c'est bien là l'essentiel.
Pour
  • Le contexte historique de la Grande Dépression rendu dans les moindres détails
  • Le rendu visuel bluffant de l'Amérique urbaine des années 30
  • L'ambiance palpable de film noir
  • La superbe bande originale inédite
  • Les doublages anglais de haute volée
  • Des personnages crédibles et attachants
  • Les sublimes illustrations des magazines optionnels à ramasser
Contre
  • Un gameplay TPS profondément ancré en 2002
  • Une structure de monde ouvert sans les activités qui vont avec
  • La ville de Lost Heaven et son ''effet Truman Show'' dès qu'on plisse les yeux
  • Le malaise de l'Uncanny Valley dans certaines expressions de visage
  • Les réactions des passants : complètement déconnectées de la réalité
  • Les animations en retrait
  • Les fusillades un peu molles et convenues
  • L'IA complètement aux fraises
  • Quelques soucis techniques (collisions, artefacts visuels)

Résident permanent dans la petite bourgade de Raccoon City et prosélyte du génial Rain World depuis 2017, on l'entend parfois jurer à pleins poumons lorsqu'il perd lamentablement face au singe de Sekiro à un poil de lemming près. En quête d'une 3080 depuis bientôt un an, le malheureux espère une réception de sa commande en 2022 : l'important c'est d'y croire ! Son TOC préféré ? Recenser dans un PDF tous les jeux auxquels il a joué dans sa vie.

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