Que le public se rassure, Luther: Soleil déchu n’explorera pas la vie du fameux théologien allemand, père du protestantisme. Il s’agit bien d’une articulation supplémentaire greffée à la fin de la série créée par Neil Cross, excroissance de plus de deux heures disponible dès le 10 mars sur Netflix. Que nous offre donc ce nouveau film de serial-killer ?

Film ou série ? Il faut choisir !

Le grand-écart casse-gueule en prolongeant une série d’un long-métrage, c’est évidemment d’y convier autant le public fan du matériau de base que celui qui, au gré d’errances de scroll, tombera sur le film sans rien connaître de la série. Luther: Soleil déchu aurait pu nous offrir une brève caractérisation des personnages, pour resituer le contexte et les différentes trames narratives, mais le réalisateur Jamie Payne (principalement connu pour ses créations pour la télévision) s’en sort par une pirouette : lancer son film comme un go fast à un péage marseillais.

Et force est de constater que ça fonctionne, au moins en partie. Il est certain que le spectateur totalement étranger à la création initiale de Neil Cross passera partiellement à côté des enjeux entourant les personnages. Il ne comprendra pas forcément les motivations du tueur, un proto-jumeau-maléfique de Benjamin Biolay (Andy Serkis, alias Gollum) se rêvant en Julien Lepers des enfers. Il ne saisira guère plus les raisons qui enverront l’enquêteur Luther (Idris Elba) sous les verrous, dès le début du long-métrage, si ce n’est qu’il aurait franchi un peu trop souvent la ligne grise entre flic consciencieux et policier établissant sa propre justice. Pourtant, le film vous prend par le collet et vous oblige à avancer… Un procédé qu’il utilisera à plusieurs reprises à travers l’histoire.

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Incohérence quand tu nous tiens

En effet, Luther, malgré le passage par la case prison, n’arrêtera pas son enquête pour autant, et cela grâce à un téléphone qu’il parviendra magiquement à introduire au sein de l’établissement carcéral à haute sécurité. Pourquoi ? Comment ? Pas le temps pour ces questions, le long-métrage est déjà cinq scènes plus loin…

Un procédé que le film réitèrera à chaque fois que les nécessités du scénario se fracasseront contre les murs de la logique : « l’incohérence inexpliquée ». Payne, qui sait où va son scénario mais pas comment l’y amener, ne s’encanaillera pas à travailler son écriture mais y introduira au forceps des élément parfaitement inexplicables et inexpliqués. Miraculeux téléphones fonctionnant sous l’eau, arrivée des secours ou des antagonistes, mise en place des scènes de « supplices »… Payne abuse de cette baguette magique. Et s’il croit parvenir à nous les faire avaler en loucedé, faut croire qu’il nous prend un peu pour des pigeons. Mais passons sur ces multiples incohérences pour nous plonger sur ce qui fait l’essence de ce Luther: Soleil déchu.

Luther: Soleil déchu

Fincher pour les nuls

Payne, comme certains nouveaux cinéastes, utilisera ses références comme des béquilles. On sent dans toute la partie carcérale que dans l’esprit du réalisateur la (géniale) série Oz (et toute une kyrielle de productions carcérales) a longtemps infusé : construction de ces cacophonies mêlant cris et bruits métalliques, l’encombrement des couloirs étroits entre coursives et froideur du béton, faune de skinheads en mal de baston, bâtiments austères… On sent la resucée et chaque plan semble déjà avoir été tourné plus tôt (et mieux ?). Mais, dès sa sortie de prison, le film lorgne bien plus du côté d’un autre monument : un certain David Fincher.

Film en puzzle, photographie poisseuse à dominante verte, ambiance glauque à souhait, pas de doute, c’est du côté du papa de Se7en et de Zodiac que lorgne Jamie Payne. Malheureusement, s’il tente d’émuler le système Fincher dans son cinéma, il ne parvient jamais à s’en émanciper : on a plus affaire à une tentative de copiste low-coast qu’à un cinéma inspiré portant la touche d’une patte personnelle. Et on va tenter de comprendre pourquoi…

Ciné fauché ?

Le budget de Luther: Soleil déchu n’a pas été dévoilé sur la toile, mais nul doute qu’il ne soit pas très élevé (et qu’il a filé en grande partie dans le casting). Les effets spéciaux font parfois saigner la rétine – même avec un visionnage sur petit écran – notamment les fonds verts qui se voient à dix kilomètres ou encore à peu près toutes les scènes impliquant du feu. Mais là où le bât blesse réellement, c’est au niveau des chorégraphies des bagarres.

L’exemple-type est la mêlée naissant dans les couloirs de la prison, où Luther se voit visé par d’autres prisonniers tandis que les gardiens tentent tant bien que mal d’y faire régner l’ordre. Payne choisit de la tourner en plans relativement longs, si l’on prend comme étalon la durée moyenne d’une séquence de cinéma d’action actuel. Une bonne chose en soit, mais qui laisse ici tout le temps au spectateur de détailler la gêne des acteurs simulant leurs coups, dans une orchestration des corps terriblement plate.

Bien qu’elle soit symptomatique de l’un des problèmes du film, il faut tout de même reconnaitre qu’elle ne dure que quelques minutes et qu’une bonne partie des cascades – courses de voitures, morts violentes, poursuites – marchent bien mieux que cette séquence. Mais si ce n’est donc pas que le fric qui manque à Luther, qu’est-ce qui peut bien clocher ?

Tiède succédané

Si on le compare à du Fincher, Luther: Soleil déchu  fait bien pâle figure malgré son casting qui tient la baraque et pas mal de scènes qui parviennent à fonctionner. Et la raison à cela, en grande partie, c’est à quel point Payne en fait un succédané tiède. Le café noir Fincher devient ici une chicorée mal dosée, où le réalisateur (ou la production ?) n’ose pas grand-chose…

La violence, notamment, reste toujours bien proprette et reléguée à l’hors-champ. Une scène de suicide collectif en est le parangon. La caméra ne montrera rien de bien crade, épargnera au spectateur l’image ainsi que le son de ces morts en série. Ne reste alors qu’un aperçu édulcoré qui ne saura pas durablement marquer les mémoires. La même chose se réitère durant le final, virant à l’étrange snuff movie en direct. Les promesses sont là (multitudes d’outils de torture, bourreaux slaves, kérosène prêt à brûler tout le monde), Payne n’en fera qu’un copié-collé carencé de la fin de Skyfall.

Ventre mou

Combiné à la caractérisation quasi-inexistante des personnages détaillée plus haut, ces tares coulent un film qui commençait pourtant bien. Ce début n’est malheureusement pas suffisant pour nous tenir jusqu’à la toute fin : un long ventre-mou plombe tout le segment central d’une production beaucoup trop étirée (2h10) pour ce qu’elle a à raconter.

Reste un film du dimanche soir sympathique, où l’on n’aura pas trop de scrupules à sauter quelques passages résolument bien longuets. Les poursuites dans les rues londoniennes et la présence d’un casting solide suffiront à contenter la majorité des spectateurs, de leur faire avaler leur lasagne réchauffée et de leur faire oublier que demain, c’est lundi.

À découvrir dès le 10 mars 2023 sur Netflix.

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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