Impertinent, incisif, insolent : autant d’adjectifs qu’on pourrait très bien associer au film d’animation Linda veut du poulet. Linda, gamine de caractère, veut manger son plat préféré après que sa mère Paulette l’a injustement punie. Seul bémol, c’est la grève générale et trouver du poulet relève de l’impossible… ou presque !
Interview de Chiara Malta et Sébastien Laudenbach
Présenté en mai à l’ACID lors du festival de Cannes, Linda veut du poulet avait déjà su séduire la croisette. Ovationnée par un pubic gagné par l’hilarité lors de sa présentation, cette truculente comédie franco-italienne récidive à Annecy. Réalisé et scénarisé de concert par Chiara Malta et Sébastien Laudenbach, ce long-métrage virevolté a raflé le Cristal d’argent et le Prix Fondation Gan à la Diffusion, de quoi donner du souffle à Dolce vita films, producteur engagé, ainsi qu’aux équipes artistiques que nous avons rencontrées. Sortie prévue le 18 octobre 2023.
Une comédie acidulée
Avec un style graphique haut en couleur, couplé à des contours marqués à la craie grasse, les expressions des personnages sont puissantes. Chacun d’entre eux a sa propre couleur élémentaire et l’animation laisse libre cours à l’imagination avec des arrières plans crayonnés et unis. D’entrée de jeu, Linda et sa mère prennent vie grâce à une palette d’émotions particulièrement vives.
Au-delà de la prouesse visuelle et d’un parti pris graphique qui fait échos à La Jeune Fille sans mains de Sébastien Laudenbach, le mixage sonore est remarquable. Plutôt que d’avoir choisi un doublage traditionnel, les acteurs qui ont prêté leur voix aux protagonistes ont opéré en prise de vue réelle, à l’instar d’une production cinématographique traditionnelle. Et cela se ressent dans la spontanéité des répliques qui fusent en rafales.
Franchement drôle grâce à une écriture musclée des personnages, chacun ayant un caractère bien trempé, on rigole gorge déployée tout au long d’une aventure rocambolesque qui confine de plus en plus à l’absurde. Le récit s’accélère dans le dernier tiers jusqu’à un épilogue symbolique réussi.
Le poulet : arme par destination ?
Derrière cette comédie rythmée tambour battant, le film prend également soin de tacler un pouvoir qui préfère de plus en plus l’ordre à la liberté. Les enfants, anarchistes par défaut, offrent une belle résistance inattendue face à un dispositif policier disproportionné. Tout un bataillon a été mobilisé afin de récupérer cette fichue volaille chapardée par Paulette. La jeune mère voulait se faire pardonner par sa fille, alors que la grève générale condamnait les supermarchés à rester portes closes. C’est le bras de fer qui oppose l’amour à l’injustice, la légitimité à la légalité.
Cela passe en outre par de menus détails du cadre de la cité à Serge, ce gentil flic souvent désarçonné et qui obéit aux ordres de son supérieur quitte à cumuler les bourdes. Le malheureux voulait être magicien et il a fini avec une matraque en main plutôt qu’une baguette (encore une triste victime de Parcoursup).
Pour autant, Linda du Poulet n’est aucunement voulu comme un pamphlet et le film devrait plaire aux petits et grands mais peut-être pas pour les mêmes raisons. Chaque personnage est attachant, gagné par une part de lumière qui ne demande finalement qu’à jaillir. Ce long métrage traite entre autres de la question de la monoparentalité au travers du touchant personnage de Paulette comme celui d’Astrid : deux femmes diamétralement opposées en dépit des liens du sang et pourtant toutes deux seules. Au travers de ces portraits, Linda veut du poulet esquisse ses problématiques avec malice.
En s’inscrivant dans une cité où le vivre ensemble est le fer de lance du quotidien, l’irruption soudaine d’une marée de CRS en robocops est singée pour mieux finir en canular. Une fumée rappelle des lacrymogènes, des pastèques des LBD et toujours ce maudit poulet qui reste insaisissable. Comme un écho du réel devenu tristement banal en 2023.
Une chanson douce que me chantait ma maman
Enfin, en choisissant d’intégrer des comptines originales composées par Clément Ducol, les réalisateurs donnent une autre dimension métaphorique au film. Qu’il s’agisse d’Astrid, la tante de Linda, prof de Yoga autoritaire mais qui se gave de bonbons pour calmer ses nerfs, Paulette qui est finalement aussi têtue que sa propre fille, ou même Serge qui aurait tant rêvé devenir magicien, ces interludes musicaux rappellent la part d’enfance qui réside même chez les adultes les plus résignés.
Visuellement, c’est aussi le moment d’échappées poétiques lors de séquences à l’animation décomplexée, entre souvenirs fantasmés et rêves à accomplir. Plus l’on s’enfonce dans l’imaginaire des personnages, plus les arrières plans s’épurent en termes de composition comme de couleurs.
Chicken run
Dans les ruelles d’Annecy, ceux qui avaient pu voir le film avaient déjà flairé le sacre attendu pour la cérémonie de clôture. Un présage qui n’aura pas fait défaut. Linda veut du poulet est une comédie impertinente, une course folle qui sait saisir les enjeux d’une époque pour les traiter par le remède du rire. Plutôt que de se replier sur un quotidien morne, c’est une invitation à la solidarité, un rêve de liberté et une effusion de peinture dans le gris du réel.
Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.
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Merci pour cette critique qui donne envie de se ruer dans une salle obscure pour faire connaissance avec Linda et Paulette !
Nous voilà déjà conquis, mus par une faim inextinguible de poulet !
[…] anime est une coproduction franco japonaise entre Miyu Production (Saules aveugles, femme endormie, Linda veut du Poulet, etc.) et le studio Shin-Ei. Animation. Karin, 11 ans, est abandonnée par son paternel chez son […]