A l’occasion du festival Anima, Le Grand Magasin, adaptation éponyme du manga de Tsuchika Nishimura, vient enfin à la rencontre du public belge. Dans un écrin de Grand Magasin à la française, la jeune Akino est à l’essai pour devenir concierge. Elle s’efforce d’offrir le meilleur service à une clientèle particulière… des animaux de toutes sortes. De la créature la plus grande à la plus petite, de la plus touffue à la plus rêche, de la plus calme à la plus colérique, Akino va devoir user des grands moyens pour réussir à satisfaire leurs demandes et faire de leur visite au Hokkyoku une expérience mémorable.

Anima 2024

Un dessin au poil

A l’image de ces prémices charmantes, le style visuel du film l’est tout autant. C’est incontestablement sa plus grande réussite. Le style doux de Nishimura présent dans le manga d’origine est repris, tout en le rehaussant d’une multitude de tons colorés qui font plaisir à la rétine. Le Hokkyoku apparaît alors comme un lieu accueillant et chaleureux, dans lequel on se rêve à déambuler dans les allées. Le travail sur les personnages est tout aussi soigné, en particulier la transformation anthropomorphe des différents animaux. Leur bipédie semble naturelle et les vêtements qu’ils portent sont parfaitement adaptés à leur morphologie ; leur design étant soutenu par une animation au poil ! Un travail du détail qui n’est pas étonnant au regard de la carrière de Yoshimi Itazu. S’il signe ici son premier long-métrage en tant que réalisateur, voici bientôt trente ans qu’il officie dans le milieu en tant qu’animateur.

Tsuchika Nishimura
Une illustration de tsuchika Nishimura, à l'image de son style.

Une structure au rabais

Malheureusement, on ne peut pas dire que le scénario a eu le droit à autant d’égards. Au lieu d’offrir une véritable intrigue, le film se construit comme une succession d’événements répétitifs. Akino rencontrera d’abord un animal en détresse, essayera de l’aider avant d’échouer une première fois, puis trouvera une solution atypique qui satisfera la requête de son client et lui inculquera en sus une petite morale ou règle de vie. On assiste plus à une compilation mécanique d’épisodes de série qu’à un long-métrage. La forme répétitive coule toute possibilité d’émerveillement allant au-delà de la découverte de l’univers pourtant enchanteur.

Le Grand Magasin
Une foule de personnages inonde tout le récit.

L’écriture des personnages n’améliore pas le tableau. Les humains reposent sur des archétypes trop connus du genre et la faune rencontrée n’est définie que par ses problèmes, souvent triviaux. Ils manquent de profondeur pour devenir plus que des personnages-fonctions. La pauvreté du scénario les empêche d’acquérir ce soupçon de personnalité qui les rendrait attachants. Seule Akino s’en sort un peu mieux et pourtant, elle reste une héroïne très générique. Lorsque tous les animaux croisés au long du film sont réunis pour la scène finale, il est difficile d’être ému de les revoir. Leur allure reste envoûtante et leur esthétique est charmeuse, mais ils sonnent désespérément creux. A peine la rêverie a-t-elle commencé qu’il nous faudra rester sur notre faim.

Une remise sur la morale ?

Alors que commence le troisième acte, le directeur de l’Hokkyoku  révèle la raison d’être de son établissement : il aurait été construit par les humains à l’égard des espèces dont ils ont provoqué l’extinction. Pour expier leurs fautes, ils offrent aujourd’hui à ces animaux disparus le plaisir du luxe, de la consommation et de la dépense. Sous les airs bon enfant de cette compensation, n’y a-t-il pas quelque chose de déplacé à faire de la figure du centre commercial un nouvel Eden ? D’autant plus qu’au long du film, les produits vendus sont pour certains des parfums ou des habits luxueux, dont certaines matières premières… proviennent de l’exploitation animale et ont mené à la disparition des dites espèces !

Le Grand Magasin
Le Grand Magasin est éblouissant, malgré ses quelques travers.

Pris dans l’étau de cette contradiction apparente, le film est confus dans le message qu’il porte. Son manque de profondeur narrative l’empêche d’apporter les nuances nécessaires pour s’en sortir. Certains le décrivent d’ailleurs comme un « Film sur la thématique de la servitude volontaire et de la soumission à l’ordre. », quand d’autres y voient « Une réflexion sur la normalité qui va de pair avec une ode vibrante à la tolérance. » Si on imagine que l’équipe derrière le film n’avait pas d’intentions délétères, force est de constater que le film reste flou à ce sujet et propose une manière de consommer sans la remettre en question.

Le Grand Magasin
En tant que bonne concierge, Akino garde le sourire, quoi qu'il arrive.

Si l’on veut croire à cet environnement idyllique et merveilleux dès les premières images, il est impossible de ne pas nier les contradictions qui se cachent sous le vernis chatoyant. A l’image de son bâtiment perdu au milieu de la nature, Le Grand Magasin est une bulle saugrenue dans un monde qui ne lui ressemble pas.

Encore petit fretin dans l'océan du cinéma, je nage entre les classiques et les dernières nouveautés. Parfois armé d'un crayon, parfois d'une caméra, j'observe et j'apprends des gros poissons, de l'antique cœlacanthe bicolore, du grand requin blanc oscarisé et des milliers de sardines si bien conservés.

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