Après Comme des voleurs (à l’est), Les Grandes ondes (à l’ouest) et désormais La Dérive des continents (au sud), on se demande bien ce qui va se passer au nord de la filmographie de Lionel Baier. Reste que son dernier film – présenté à la Quinzaine des réalisateurs du 75e Festival de Cannes et actuellement disponible en DVD – propose à son public un astucieux mélange des genres, qu’il est grand temps de (re)découvrir.

Pangée

A la base était un petit réalisateur suisse, originaire de Lausanne, débutant avec une première réalisation en 1999 (un court titré Mignon à croquer) et alternant depuis documentaires et fictions. En 2006, Lionel Baier entame sa tétralogie dont La Dérive des continents (au sud) s’inscrit comme le troisième opus d’un cinéaste cosmopolite : les deux premiers se situaient en Pologne puis au Portugal, le troisième sous le soleil écrasant de Sicile. Baier nous en promet encore un dernier, cette fois-ci direction le septentrion, intitulé Keek (au nord), prenant place en Ecosse et qui sortira dans les années à venir.

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L’idée de son film nait en 2014, raconte-t-il, tandis que la crise migratoire touche les côtes européennes. Le réalisateur fait alors le déplacement en Italie et en Grèce, pour constater de ses propres yeux le sort réservé aux migrants après leur éprouvante traversée de la Méditerranée. S’y greffe une histoire d’Europe, forcément, de couple franco-allemand en visite, le tout mâtiné d’un mélo familial. Bref, pas forcément un terreau bien léger pour une comédie… C’est sans compter sur l’inventivité de Lionel Baier.

Tectonique des plaques

Nathalie, interprétée par la toujours aussi géniale Isabelle Carré, est dépêchée en Sicile par l’Union Européenne. Parmi ses missions, organiser l’imminente visite du couple Macron-Merkel dans un camp de migrants… Une rencontre hautement symbolique, durant laquelle les dirigeants veulent évacuer tout risque de dérapage. Naviguant entre les communicants et les volontés politiciennes qui souhaitent transformer le camp en véritable vitrine de l’immigration, Nathalie tombe sur son fils, Albert (Théodore Pellerin), activiste engagé au sein d’une ONG pour les Droits de l’Homme. Lui qui avait coupé les ponts depuis des années a bel et bien choisi le pire moment pour refaire surface…

La Dérive des continents (au sud)

La Fosse des Mariannes

Nous parlions de la mise en abîme, et c’est ici qu’elle réside. En somme, l’histoire de Nathalie se collisionne avec celle de l’Europe : couple tirant la couverture à eux, enfants déçus… La métaphore est facile. Baier utilise sa narration fictionnelle pour donner du corps à son propos. Lui, le documentariste, personnifie son sujet, l’insuffle dans ses acteurs, lui donne chair. Mais bien loin d’une simple et balourde allégorie, il dresse, en se délestant des poncifs d’un genre pour embrasser une pluralité de tons, un portrait acide de l’administration européenne et de la déshumanisation politicienne. Ce ne sont plus des êtres humains qui débarquent sur les côtes européennes, mais bientôt des figurants d’un « village Pierre & Vacances » trop propret au goût des communicants de l’Elysée, bien décidés à avoir des images parfaites à ramener dans leurs valises.

La Dérive des continents (au sud)

Cruel, drôle, parfois franchement absurde, on peut reprocher à La Dérive des continents (au sud) d’abandonner un temps son sujet pour trop se focaliser sur le mélo familial de cette mère retrouvant un fils longtemps négligé. Un grief que l’on oublie aussitôt, tant il nous offre l’une des plus belles scènes du film : écrasés par le soleil sicilien, Nathalie et son fils vont tomber sur le village de Gibellina. Entièrement détruit par un tremblement de terre en 1968, l’artiste Burri s’est emparé du paysage pour enfermer les ruines restantes sous des sarcophages de béton, dessinant l’ancien contour des rues de la bourgade. Hautement poétique, la caméra de Baier sublime ses deux acteurs perdus au sein de ce dédale symbolisant la fragilité de nos constructions, de briques comme sociétales. Le rapprochement tectonique de l’Afrique et de l’Europe, causant d’un côté la guerre et l’horreur, de l’autre un retranchement identitaire et une perte d’humanité flagrante.

Très belle pioche de l’année 2022, La Dérive des continents (au sud) est une véritable surprise douce-amère, à découvrir dès aujourd’hui en format physique ou en VOD, promettant une bouffée estivale bien nécessaire en cette période de l’année.

Fiche technique

DVD Zone B (France)
Éditeur : Blaq Out
Durée : 86 min
Date de sortie : 07 février 2023

Format vidéo : 576p/25 – 1.85
Bande-son : Français Dolby Digital 5.1 (et 2.0)
Sous-titres : Français

La Dérive des continents (au sud)

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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Ummagumma
1 année

Tu me l’as vendu. Merci pour la découverte.

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