Présenté au festival Fantasia, Huesera s’inscrit dans la lignée de ces films qui révèlent la part sombre de la parentalité. Valéria (Natalia Solian) attend son premier bébé. Avec son conjoint, elle en a toujours rêvé. Pourtant sa grossesse se transforme très vite en cauchemar. L’angoisse consume lentement Valeria. Son corps se transforme, sa sensibilité également. Hantée par des visions macabres, la jeune femme est-elle maudite ? Alors que son être tout entier change de l’intérieur, Valéria se sent dépossédée de son propre corps. Huesera propose une lecture psychologique d’un épisode de la vie d’une femme, période systématiquement représentée comme un « heureux évènement” . Au delà des tabous, Huesera dresse un portrait clinique de la grossesse avec en filigrane le théâtre mexicain et son folklore.

Notre critique de Huesera

L’été dernier, nous avions pu échanger à Montréal avec Michelle Garza Cervera sur les clichés qu’elle cherche à renverser et les tabous qu’elle dénonce à l’écran. La maternité peut-aussi être un deuil invisible. Celui d’une vie qui s’efface au profit d’une autre, d’obligations nouvelles et d’injonctions sociétales qui prennent le pas sur la liberté de la mère. Un film psychologique incisif et qui donne à voir un autre versant de la maternité dans le cadre traditionnel de la société mexicaine On vous laisse découvrir la retranscription écrite de notre échange que vous pourrez également consulter en vidéo. 

Interview de Michelle Garza Cervera à Fantasia

K7 : Pourquoi avoir choisi de traiter le thème de la grossesse sur le plan de l’évolution psychologique ?

Pour moi, c’était vraiment important de montrer tout le cheminement intérieur qu’une personne peut vivre. Si on ne voyait pas ce passage, peut-être qu’on aurait tendance à porter un jugement sur le personnage. Alors que si on partage avec elle son évolution qui est horrible sur bien des aspects, on peut parvenir à éprouver de l’empathie au sein de l’horreur. C’est comme ça qu’on a décidé d’écrire l’histoire avec mon scénariste.

K7 : Il y a une phrase qui revient à deux reprises et que j’apprécie beaucoup dans le film. « Quelque chose est entré à l’intérieur ». A mon sens c’est une image de la grossesse intéressante qui revient à détruire de nombreux clichés sur la maternité. Est-ce que tu tenais à renverser les stéréotypes ?

Oui, quand on voit une femme seule par exemple, instinctivement on se dit qu’il faut l’aider à tort ou à raison. On voulait construire un personnage indépendant et sexy. Parfois la société est portée par des attitudes et des automatismes qui datent d’il y a des siècles. On voulait que ce soit enfoui au cœur des personnages. Sa famille essaie de l’assister parfois avec succès, parfois non.

K7 : Pourquoi avoir choisir le Mexique pour ton film ? Est-ce que toutes ces croyances et rituels sont des choses que tu as vécues à Mexico ?

Je voulais créer un film très personnel. On voulait vraiment montrer ce que c’était que d’appartenir à la classe moyenne et combien cela pouvait être différent. Tu n’es pas si loin économiquement et socialement parlant dans une ville mais c’est ce n’est pas pareil, la manière dont tu grandis notamment. J’ai de la famille qui a vécu ce type d’expériences. Parfois, moi-même j’ai pu expérimenté certaines de ces situations. Pas exactement comme Valeria puisqu’elle était enceinte et que c’était ainsi qu’on a pensé le film. Mais l’idée, c’était de trouver des symboles qui avaient été éprouvés par d’autres femmes plus âgées ou plus jeunes. C’est comme ça que cela m’a aidé à me construire moi-même. Dans mon cas, ça pouvait être des enseignants ou des personnes que j’ai rencontrées dans mon métier. C’est en ce sens que j’ai voulu intégrer les sorcières qui aident Valeria à surmonter cette épreuve. Ces dernières savent comment se reconstruire soi-même.

K7 : Quand on est enceinte, c’est aussi un des derniers instants avant une autre vie où tout sera dédié au nouveau-né. Il y justement cette scène où Valeria est en train de décorer la chambre pour le petit et elle range des anciennes affaires dans son placard. Est-ce que le fait qu’une nouvelle vie en efface une autre était l’un des sujets que tu voulais aborder ?

C’est une des caractéristiques de mon personnage. Je voulais que Valeria mette de côté son adolescence punk et toutes ces préoccupations politiques qu’on vit à cet âge-là. C’est l’âge où on se questionne sur le monde et où parfois certaines réponses vont définir notre personnalité jusqu’à la fin de nos jours. Cela peut être le fait d’être punk comme d’autres positions personnelles qu’on affronte tout au long de sa vie. Il y a cette idée que toutes ces affaires rangées dans un coin de son placard pourraient l’aider à passer cette nouvelle épreuve de la grossesse. Elle a le soutien de son amie d’enfance qui vient encore dans ce monde et qui ne la jugera jamais, ou pas immédiatement en tout cas.

K7 : Ces dernières années, il y a eu de nombreux films qui ont abordé frontalement des problèmes vécus par les femmes comme Mister Babadook. Quels œuvres ont pu t’inspirer pour Huesera ?

J’ai vraiment aimé Mister Babadook (2014) en fait. C’est l’un de mes films préférés. Mais il y a aussi Rosemary's Baby (1968) qui reste mon film de tous les temps, particulièrement pour le placement de la caméra. Politiquement il y a ce livre qui raconte les choses de manières complètement différentes. Mais cette narration et réalisation me correspondent parfaitement. Il y a aussi Jacob ladder (1990) que j’ai beaucoup étudié lors de mes études. J’aime les films des années 60’ qui sont avant tout basés sur le placement de la caméra, plus encore que pour le cadre. C’est l’un des aspects qu’on a énormément poussés pour retranscrire cette horreur psychologique avec Huesera.

Huesera

K7 : Dans ton film, il y a aussi cette scène où elle voit des araignées ? Est-ce une métaphore de la toile d’araignée qui se referme sur la mère avec la grossesse ?

J’ai travaillé plusieurs points pour mon film : d’abord les os brisés des entités mais aussi les araignées, oui. L’une des inspirations principales vient de la française Louise Bourgeois et sa sculpture « Maman ». L’artiste compara directement la grossesse à la figure de l’araignée. Une toile ressemble à une maison mais c’est aussi une prison. Elle permet d’attraper des proies et de les dévorer. Valeria ressemble à ces araignées d’une certaine manière. C’est quelque chose que je tenais à insérer dans le film. Il y a aussi le fait que cette statue soit très osseuse. Si on l’imaginait bouger, elle craquerait sans doute partout ! Il y a plein de détails à ce sujet dans le film. Sur le moment, tu ne le remarques pas forcément mais si tu regardes Huesera une seconde fois, tu peux en trouver un peu partout. C’est une toile d’araignée de laquelle elle doit s’échapper en fait !

« L’enfer est à l’intérieur de nous », Louise Bourgeois.

K7 : Est-ce que tu comptes aller plus loin sur ce thème de la grossesse pour tes prochains films ou est-ce que tu comptes passer complétement à autre chose ?

C’est une bonne question. Beaucoup de personnes me l’ont posée. J’ai décidé de faire ce film il y a cinq ans. C’était une histoire complète. Mais maintenant je veux avancer. Cela ne me définit pas. Vraiment ! C’est quelque chose que je trouvais important de traiter, dans ma famille comme pour ma propre histoire. Mon film a produit l’effet cathartique que je recherchais pour mes proches comme pour moi. L’autre soir à Fantasia, il y même eu cette spectatrice qui a pris la parole lors du Q&A pour évoquer sa propre expérience. Elle était si émue ! Pour moi, cela signifie que le film a atteint son objectif. Je veux maintenant passer à autre chose. J’ai d’ailleurs déjà eu des propositions pour travailler sur des histoires de grossesse que j’ai refusées. (rires)

K7 : Oui, son témoignage était glaçant après la séance. Elle prétendait avoir eu le sentiment de « mourir de l’intérieur ». Je pense aussi que ton fim traite de sujets dont on devrait parler davantage.

Merci beaucoup. Oui, pour moi ça devrait être tellement naturel de nos jours de faire preuve de cette empathie. Mais avec les récents évènements politiques de l’interdiction de l’IVG dans certains Etats américains, plus que jamais il faut continuer d’avoir cette discussion !

K7 : Je ne doute pas que certains croyants apprécient ton film (rires)…

Oh… j’en suis certaine. Je suis un peu inquiète de voir comment le film sera reçu à Mexico ! On verra bien ! (rires)

Michelle Garza Cervera, réalisatrice

 

Née en 1987 au Mexique, Michelle Garza Cervera étudie le cinéma au Centro de Capacitación Cinematográfica de Mexico, puis elle intègre l’Université Goldsmiths de Londres où elle obtient une maîtrise en réalisation. Elle réalise ensuite plusieurs courts métrages sélectionnés dans de nombreux festivals à travers le monde avant de signer Huesera est son premier long métrage horrifique.

Echange avec Michelle Garza Cervera à Fantasia

Bande-annonce de Huesera

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

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