1991, Barcelone. Alors que l’arrivée prochaine des Jeux olympiques procure à la ville un boom économique, certains quartiers périphériques restent délaissés. C’est le cas de La Sagrera, où vivent deux jeunes adolescents mal dans leur peau, Juanjo et Miquel. Loin des problèmes du quotidien, de l’école et des filles, les deux compères vont se réfugier dans une passion qui scellera leur amitié : le métal.
Dessin minimaliste
Après deux séries remarquées en Catalogne, Arròs covat et l’éponyme Heavies Tendres, l’auteur de BD Juanjo Sáez traverse les frontières et arrive sur grand écran. Le dessin se contente du strict nécessaire : quelques traits au style libre et arrondi, dépouillés de tout détail superflu. Chaque image ainsi obtenue est limpide. Comme une case sans contours, le tout s’anime au centre de l’écran, sans avoir besoin d’occuper tout l’espace. Ce surcadrage crée la sensation d’une bande dessinée en mouvement, de la manière la plus littérale, et offre au film une aura particulière. Ces zones délaissées permettront à certaines actions de prendre tout de suite plus de taille et d’importance aux moments opportuns, en jouant sur l’échelle des grandeurs. Si cette vision décalée du monde peut décontenancer de prime abord, elle s’avère vite très intuitive.
De plus, chaque personnage est identifié par une caractéristique qui le rend facilement identifiable, Miquel et sa masse de boucles blondes, Juanjo et ses longs cheveux bruns, etc. Ainsi, avec une palette d’outils si simples et mis en place très tôt dans le récit, les animateurs peuvent jouer et détourner les règles usuelles de l’animation. Plus besoin de se soucier d’un certain réalisme ou des règles de la perspective. Le monde se déforme selon les besoins de la mise en scène et explore des territoires auxquels n’auraient pas accès une animation plus traditionnelle. Les deux réalisateurs, Joan Tomas Monfort et Carlos Pérez-Reche, réussissent donc à rester à la fois fidèles à l’univers graphique de Sáez, tout en y apportant une sincère valeur ajoutée en le faisant plonger dans le monde de l’animation. Un film qui expérimente à chaque instant et qui réussit à ne jamais perdre visuellement son spectateur.
Métal mutique
Cependant, si l’image s’impose, la bande-son peine à convaincre. De manière surprenante, la musique diégétique est constamment sous-mixée. A chaque fois que les personnages écoutent du métal, l’élan de puissance attendue n’advient pas et les morceaux prennent les dimensions d’une musique d’ascenseur tapageuse qui fait à peine vibrer les sièges. Un choix assumé par les réalisateurs qui expliquent avoir voulu appliquer leur philosophie visuelle du dépouillement au plan sonore. Malheureusement, ils n’atteignent jamais le même succès. Ça peut fonctionner lorsque les personnages jouent un vinyle sans vraiment l’écouter. Mais des séquences plus centrales, comme lorsque Miquel écoute pour la première fois du métal, manquent de punch. Alors qu’il est transcendé par les riffs hurlants l’absence de puissance dans la bande-son nous maintient à distance de ce qu’il peut réellement ressentir. Ses réactions exagérées deviennent totalement absurdes.
Passage à la M(étal)urité
Néanmoins, le film ne tourne pas qu’autour de la musique. Si son esthétique le sort du lot, c’est un véritable Coming of Age movie, genre dont il coche toutes les cases. Au fil des scènes, le mal-être de Juanjo et Miquel se diluent petit à petit alors qu’ils apprennent à faire face à la vie. Malgré les obstacles, ils forment une amitié incongrue et formatrice qui les renforce. Autour d’eux, un cortège de personnages secondaires colorent le petit microcosme de La Sagrera, limite de leur univers. Le premier amour, le prof affectueux, le beau-père diabolique… Le film esquive avec justesse les clichés grâce à une inspiration autobiographique qui apporte la subtilité nécessaire. La somme de toutes ces qualités permet à Heavies Tendres d’expérimenter à chaque instant, sans jamais perdre son spectateur. S’il ne réinvente pas la roue, il nous invite plutôt à l’observer et à la découvrir sous un nouvel angle, plein de surprises.
Encore petit fretin dans l'océan du cinéma, je nage entre les classiques et les dernières nouveautés. Parfois armé d'un crayon, parfois d'une caméra, j'observe et j'apprends des gros poissons, de l'antique cœlacanthe bicolore, du grand requin blanc oscarisé et des milliers de sardines si bien conservés.
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Cool, tu m’as rendu curieux avec ce film ! Merci pour ta critique 😉