Si le bouche à oreille a su donner à la timide sortie de Chien de la casse une résonance amplement méritée, gageons que sa sortie en format physique ne fasse qu’amplifier le phénomène ! Retour sur ce premier film promesse d’une carrière passionnante pour son réalisateur Jean-Baptiste Durand…
Amours chiennes
Dog (Anthony Bajon) et Mirales (Raphaël Quenard). Potes à la vie, à la mort, qui semblent magnétisés par les rues de leur petite bourgade où ils passent le temps à errer entre le square, ses ruelles étroites et la chambre où ils s’enferment pour user les manettes d’une PlayStation… Vivants de petits boulots et de deals, c’est l’arrivée de la jeune Elsa (Galatéa Bellugi) et les sentiments que Dog développe pour elle qui vont exploser leur routine.
Le jeune réalisateur Jean-Baptiste Durand propose volontiers de voir son premier court, Il venait de Roumanie (disponible dans les suppléments du DVD) comme une note d’intention entière pour son Chien de la casse. Lui qui vient des mêmes milieux que les deux protagonistes qu’il dépeint sous l’objectif de sa caméra – il a grandi à quelques encablures du village où a été tourné le long-métrage – il s’inscrit selon ses propres dires dans la lignée des Giono, Pagnol ou autres Dumont. Un cinéma de territoire, ancré dans ce sud de la France paumé, bien loin de la Côte d’Azur, des yachts et des touristes, mais tout aussi écrasé par la chaleur et les stridulations entêtantes des cigales.
Bajon & Quenard
Et à l’instar d’un Dumont, il s’amuse à mêler acteurs professionnels et parfaits inconnus, brasser les apparences, combiner « beau et moche » au sein d’un casting qui fait l’essence même de ce Chien de la casse. Autant de raisons qui font que la présence d’Anthony Bajon, qu’on avait déjà aperçu dans un film empreint d’un régionalisme frappant (le Teddy des frères Boukherma), était le choix parfait pour incarner l’un des deux piliers de ce duo.
De l’autre côté, la silhouette dégingandée de Raphaël Quenard. Une gueule qu’on a déjà aperçu à de maintes reprises dans des seconds rôles – notamment hilarant dans Coupez !, mais présent également chez Mandico ou Dupieux – mais qui devient enfin, avec son personnage de Mirales, le rôle principal d’un long-métrage. Acteur étrange, toujours en décalage et au phrasé indélébile mêlant argot cru et vocabulaire soutenu, dont les débuts au sein de l’industrie des snuff movies (voir citation tirée de son interview chez Kombini ci-dessous) aura sans doute marqué à vie.
« On a commencé à faire des impros mais finalement, le film n’est jamais sorti. Mais en 2018, j’ai tourné un autre film avec ce même réalisateur, Thomas Liegeard, et c’est le meilleur pitch que tu n’aies jamais entendu. Ça s’appelle Flash Drive. J’y ai tourné avec une vieille dame de 94 ans qui est décédée pendant le tournage. »
Raphaël Quenard chez Kombini, au sujet d'un snuff-movie qu'il a tourné
Quel choix parfait pour incarner ce Mirales plébéien mais cultivé, un dealer maniant le verbe, bien loin des clichés usés jusqu’à la corde du cinéma prolo. Et de ce « chien de la casse », c’est inévitablement lui qui tient la laisse dans la relation dominant/dominé qui le lie à Dog, le personnage de Bajon. Étrange relation d’amitié, volontiers toxique mais jamais manichéenne, enfermant ces deux loubards dans un carcan de maladresses et de non-dit menant inexorablement au venin.
Film de fêlures
Des non-dits qui traversent le film mais que le réalisateur aura le doigté de ne jamais expliciter, laissant au spectateur le soin de forger son propre avis. Et une relation de loyauté totale, certes violente, mais mâtinée d’un humour – jamais gras – pansant les fêlures de ces deux êtres littéralement liés à la vie, à la mort.
Et entre les deux, cette Elsa. Propulsée au travers de deux atomes aux interactions fortes – au sens nucléaire du terme, pour faire plaisir à Nolan – et s’imposant de plus en plus comme une figure de rivale face au bagou inaltérable de Mirales, Elsa est le catalyseur de ce Chien de la casse. Son apparition transforme le film, agit en miroir pour refléter la nature profonde des liens entre Dog et Mirales.
Un cimetière, deux enterrements
N’oublions pas la ville en elle-même, dernier personnage venant se greffer sur ce trio. Une ville de province, presque déserte, qu’une bande de zonards un peu virulents peinent à maintenir en état de mort cérébrale. Ruelles corsetées, éclairage jaunâtre, bancs largués sur ces places vides, bonnes qu’à accueillir les feuilles mortes des platanes s’entassant là comme sur le champ d’un cimetière. Un cimetière que l’on retrouvera plus tard dans Chien de la casse, matérialisé dans cette plaine aux herbes fouettées par le vent, où le cérémonial étrange d’un double enterrement se laisse couver par un ciel de plomb.
Description peu reluisante, presque terne, pour un film qui ne l’est pourtant jamais. Dynamisé par les joutes verbales entre les deux meilleurs ennemis, par la tension induite par une histoire de drogue ou par la simple romance naissante entre Dog et Elsa, Chien de la casse est un film bien vivant ne se laissant enfermer dans aucune case de genre. Un premier film sacrément prometteur pour Jean-Baptiste Durand, et sans doute un catalyseur pour ce trio de jeunes acteurs brillants. Et réjouissons-nous ! Le Yannick de Quentin Dupieux offre à nouveau un premier rôle à Raphaël Quenard dont le monde du cinéma semble enfin avoir compris la force toute particulière.
Fiche technique
DVD Zone B (France)
Éditeur : Blaq Out
Durée : 89 min
Date de sortie : 05 septembre 2023
Format vidéo : 576p/25 – 2.35
Bande-son : Français Dolby Digital 5.1 (et 2.0)
Sous-titres : Français
Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.
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Tu m’as bien donné envie Kilian… Encore ! 😉