Arnaud des Pallières revient à la fiction avec Captives, sa relecture en huis-clos de la thématique du Bal des Folles qui rameutait le tout Paris de la fin du XIXe siècle… Un film présenté dans la catégorie Highlights du GIFF (Geneva International Film Festival).

Huis-clos au féminin

Fanni (Mélanie Thierry) cherche à se faire interner à l’hôpital psychiatrique parisien de la Salpêtrière pour retrouver sa mère, disparue il y a de longues années déjà. Elle parvient ainsi à s’immiscer entre les murs de cette institution dirigée par une rigide doyenne (Josiane Balasko), maintenant l’ordre grâce à La Douane (Marina Foïs), une gardienne redoutée et violente. Découvrant peu à peu les mœurs de cette société parallèle exclusivement féminine, Fanni comprend que bon nombre des femmes enfermées ne souffrent aucunement de maladies mentales…

"Orpheline", par Arnaud des Pallières en 2016

Dans sa danse entre documentaires (Journal d’Amérique en 2022, Poussières d’Amérique en 2011…) et fictions (Orpheline en 2016 avec le duo de choc des Adèle(s) du cinéma français, entendez Haenel et Exarchopoulos, Michael Kohlhaas en 2013 avec Mads Mikkelsen…), Arnaud des Pallières a su prouver la plasticité de son cinéma et sa capacité à filmer les sujets féminins. Pour son dernier film sortant en salles en début d’année 2024, il opte pour deux choix radicaux : réaliser un film d’enfermement 100% au féminin et s’attacher à une certaine réalité historique.

Mondanités détraquées

Cette réalité est celle du docteur Charcot – charlatan ou réel scientifique, à vous de juger, il a en tous cas grandement influencé un certain Sigmund Freud… – et de son non moins fameux « bal des folles » : une réunion pour le Paris mondain de cette époque, qui se regroupait alors à la Salpêtrière pour détailler l’étrange zoo humain que déployait le docteur Charcot sous leurs yeux ébahis. Un fait d’autant plus sordide qu’au milieu des réels cas psychiatriques se terraient des femmes enfermées pour les placer définitivement au ban de la société. Amante qu’il fallait faire disparaitre, sœur qu’on voulait déshériter… les occasions ne manquaient pas pour feindre la maladie mentale et mettre sous le tapis ces êtres décidément bien trop encombrants.

Et force est de céder à Captives d’oser la narration de cette contre-histoire résolument peu reluisante pour la médecine d’alors (même s’il est de loin pas le premier à le faire, par exemple Mélanie Laurent avait sorti son Bal des Folles pour Prime Video en 2021). Mais c’est bien là l’un des rares compliments à apposer au long-métrage, qui peut aussi se targuer de son casting relativement convainquant (bien qu’en surrégime constant). En effet, niveau filmage (une shaky cam percluse d’effets de zooms couplée à une sur-utilisation du gros-plan) et image (saturation des couleurs et contrastes élevés, donnant un aspect à rapprocher au cinéma de Jeunet), Captives peinera à convaincre.

"Le Bal des folles", par Mélanie Laurent en 2021

Mais dans sa présentation post-projection, Arnaud des Pallières évoquait le soin gargantuesque apporté au casting des « figurantes » de Captives. Un nombre incalculable de personnes atteintes de troubles mentaux plus ou moins prononcés, qui assurait la garnison de l’arrière-plan de ce long-métrage au cadre bien particulier. Et c’est bien là que le bât blesse le plus…

Faux pas au bal des folles

En effet, aucun rôle important – entendez un rôle influent sur le cours de la narration à l’œuvre dans Captives – n’a été attribué à une personne atteinte par un handicap ou un trouble mental, alors qu’elles en tapissent littéralement l’arrière-plan. Dans un film qui critique la mise en scène de ces « fous » dans le bal voyeur historiquement organisé par Charcot, il est malaisant de constater la réitération du schéma à l’intérieur même du long-métrage ! Reléguées à la peinture bucolique d’un arrière-plan d’ailleurs bien peu pudique (hurlements à répétitions, bouches baveuses, gros plans répétés…), on se doute qu’Arnaud des Pallières avait mille raisons de ne pas attribuer de rôle principal à une personne atteinte d’un trouble mental… Cela fait évidemment moins vendre que le casting XXL qu’il déploie (Yolande Moreau, Balasko, Marina Foïs, Carole Bouquet, Mélanie Thierry), le tournage aurait également peut-être été plus compliqué, mais l’effort aurait au moins conféré une certaine légitimité au discours critique qu’entretient Captives. Bref, une bonne déception et une certaine gêne face à ce film présenté au GIFF qui sortira dans les salles en début 2024…

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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