Mathieu Amalric signe l’ouverture du BRIFF par un poignant long métrage sur la séparation et le souvenir enchevêtré du passé au présent. La première séquence s’ouvre sur une mère en détresse. Clarisse tente, seule, de retracer ses souvenirs dans une simili partie de Memory avec des photos de Polaroid, vestiges d’un bonheur instantané et aujourd’hui en miettes. A l’image de ce jeu pour enfants, ce film mélancolique nous entraîne dans un méli-mélo mémoriel, filmé et monté avec intelligence, alors qu’une mère abandonne le foyer familial pour la route.

Du théâtre au septième art

Mathieu Amalric inaugure donc cette session 2021 du BRIFF après deux ans d’absence pandémique, deux longues années qui se soldent par la voix chevrotante d’un acteur et réalisateur qui ne cachait pas son émotion de présenter son film au public. Serre moi fort est un projet intime, comme a pu nous confier Mathieu Amalric lors de notre échange à l’issue de la projection. C’est une amie et dramaturge française, Claudine Galea, qui lui a remis ce projet d’écriture au goût inachevé, car jamais mis en scène. Il revenait donc au réalisateur d’employer l’image au service du théâtre, pour que la pièce trouve aujourd’hui une issue par le septième art.

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On suit donc une famille dans des moments de vie éclatés par des souvenirs noyés entre passé et présent confondus. Un subtile montage relie chacun des fragments, qui conjuguent un temps perdu à l’épreuve de la mémoire, elle-même fantasmée par les bribes des uns et des autres. La scène d’ouverture nous montre Clarisse quitter en pleine nuit la maison familiale, abandonnant ses deux enfants et son mari Marc. Le couple Vicky KriepsArieh Worthalter nous livre une performance touchante et juste. Une scène de rencontre en discothèque et une autre de tendresse rappellent immédiatement une époque révolue, frappée de plein fouet par un évènement tragique et filé tout au long de l’œuvre. Bien que les deux acteurs ne soient réunis physiquement qu’à deux reprises, le lien n’est jamais rompu…

La mémoire dans la peau

Malgré le support originel de la pièce de théâtre, Mathieu Amalric revendique une œuvre collective grâce à la mobilisation de sa « troupe », comme un hommage appuyé au théâtre. Le tournage s’apparentait à une résidence artistique, qui réunissait et rapprochait les artistes. A dimension humaine, celui-ci a duré près de deux ans, à trois saisons différentes, ce qui permettait aux acteurs de retrouver les mêmes lieux, aussitôt marqués par de nouveaux souvenirs des précédents rushs. Des improvisations ont ainsi ponctué le film au cours d’un tournage original en plusieurs saisons de haute montagne, où l’équipe découvrait les lignes du script à trois heures du matin, ajustées durant la nuit par un Mathieu Amalric noctambule.

Le script était en remaniement perpétuel, tandis que le réalisateur, enivré par l’écriture, faisait grincer le parquet au-dessus des dortoirs des comédiens. Ces derniers attendaient les instructions finales pour les scènes qui seraient filmées le matin même ! « Un élan » félicité par l’acteur Arieh Worthalter. Signe de cette osmose artistique, Vicky Krieps donnait aussi des instructions à son compagnon de manière spontanée, au travers d’une oreillette, au cours d’une scène émouvante d’un dialogue entre l’absent et l’être cher. Criant d’authenticité, ce dernier donne à voir un formidable échange impossible, où le désir rencontre l’impasse de la vie. Un dialogue de ventriloques, où l’on ne sait plus distinguer le pantin du marionnettiste. 

« Ce n'est pas parce que c’est écrit que le tournage doit être le coloriage du scénario. Et si quelque chose a été écrit, ça veut dire qu’autre chose est possible. »

L’intrigue se noue progressivement en additionnant les pièces du puzzle entre elles. Un audacieux montage, qui cherche sa voie pour éviter à tout prix un climax connu d’avance et afin d’empêcher de tomber dans le piège de la folie, schéma aussi facile que prévisible. Le réalisateur nous a d’ailleurs confié en off avoir supprimé une scène de folie, qui aurait porté préjudice au reste du film. Que resterait-il, si la démence suffisait à justifier chacune des scènes antérieures ? Le spectateur est au même gradin que le narrateur, c’est-à-dire entre déni et épreuve de la réalité. Pour autant, si le montage procède avec intelligence, tout comme le jeu d’acteur qui fait mouche, le rythme est quelque peu malmené par ce torrent de souvenirs ininterrompus et lancé de plein fouet au spectateur, qui intègre sans doute trop vite la partition. Ne cherchez pas un drame, dont l’issue serait révélée au dernier instant : l’objet de Serre moi fort est tout autre.

A contrario, Mathieu Amalric prend le pari risqué de proposer des éléments du dénouement très tôt dans la narration, dès 28 minutes pour être exact ! « Il ne s’agissait pas de filmer un chemin de croix ou une mater dolorosa ». Serre moi fort n’est pas réellement tragique mais mélancolique, abolissant la frontière entre passé et présent. « Il ne fallait pas de révélation finale, afin que la personne qui fasse le film n’ait pas une avance sur le spectateur » explique le réalisateur. « C’est ce que dit Clarisse. C’est là où je suis très « clarissien »… Clarisse est un personnage de l’Homme sans qualités», ajoute-t-il en guise d’indice.

« Il n’y a personne derrière l’écran et vous y avez cru... Vous y avez cru, donc c’est vrai. C’est Clarisse la projectionniste ! »

Serre moi fort est constamment porté par la musique classique, qui est omniprésente en partant de la Lettre à Elise de Beethoven ou encore Mozart. La même mélodie de Rameau fera office de nombreuses variations qui accompagnent la narration et les élans du film. Ce thème qui revient sans cesse rappelle l’obsession maternelle et l’épuisement qui l’accompagne. Le piano est l’élément central, qui lie la mère et la fille par les souvenirs. Paradoxalement, l’instrument à cordes rappelait au réalisateur son enfance, où l’on pousse des gamins à devenir de jeunes prodiges, quitte à les dégoûter in fine de la musique. C’est à ce titre sans doute que le terme de mélodrame est le plus approprié pour qualifier cette romance mélancolique. Serre moi fort est un long métrage intime, de son origine jusqu’à sa réalisation et au choix des acteurs. Mathieu Amalric se reconnaît lui-même dans la prestation d’Arieh Worthalter (l’âge en plus), confesse-t-il au public. Si l’œuvre aurait gagné en puissance en battant la mesure à un rythme plus soutenu, Serre moi fort propose une variation du deuil originale et déclinée, à la note près, jusqu’à l’épuisement. 

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

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