Écrivain, acteur, scénariste, trompettiste, critique musical, poète, chanteur, parolier… Lorsque l’on énumère les multiples casquettes de Boris Vian on pourrait croire qu’on s’adonne au plaisir de faire un inventaire à la Prévert. Pourtant, l’artiste français s’illustre aujourd’hui au travers d’une série de six courts-métrages hétéroclites publiés ensemble en DVD sous le titre Boris Vian fait son cinéma. L’occasion de faire communier l’univers du vieux briscard si adepte de l’absurde et les visions de nouveaux cinéastes émergeants… Six courts passionnants, que l’on décortique un à un ci-dessous.

Sommaire

Si son œuvre littéraire regorge de matière à adapter pour le cinéma (ses romans évidemment mais aussi tout une tripotée de nouvelles, notamment le génial recueil Le Loup-garou), Boris Vian s’est également adonné au plaisir de rédiger des scénarios groupés sous le titre Rue des ravissantes, d’où sont issus les courts-métrages décrits ci-dessous. Tantôt drôles, tantôt tragiques, ils offrent une plongée aux styles drastiquement divers dans l’œuvre et l’univers de Boris Vian.

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L'Autostoppeur

L’ouverture du court de Julien Paolini se fait sur une étrange mare brumeuse, derrière laquelle on devine la grincement désagréable d’une roue de vélo qui tourne dans le vide. Un lent dezoom nous dévoile la calandre menaçante d’une Buick (la même marque que la glaçante Christine de King / Carpenter), où un couple observe avec effroi le cadavre du cycliste qu’ils viennent de happer. Terrorisés à l’idée d’avoir affaire à la justice, ils se hâtent de cacher le corps dans le coffre de la voiture pour le faire disparaitre plus loin mais un autostoppeur impromptu les surprend en plein acte…

Grinçant, L’Autostoppeur est un court bien composé visuellement dans ses cadres amples, portés par son format large particulièrement cinématographique. Une ambiance délicieusement mystérieuse plane sur ce court, appuyée par un brouillard omniprésent (à rapprocher de l’hilarante nouvelle de Vian L’Amour est aveugle) et une musique bien choisie. Ainsi, l’étrange ballet mêlant rapports de pouvoirs et de classes emmène ces personnages dans un habile jeu du chat et de la souris, prenant de bout en bout. Finalement, comme une cerise sur le gâteau, le court se termine sur un générique porté par la chanson de Vian Fais-moi mal Johnny qui le clôt en beauté.

De quoi je me mêle

Sur un étrange malentendu, un mari cocu flaire un bon coup et se fait engager comme majordome dans un château… Mais s’il pensait toucher le jackpot en aidant le châtelain durant cette unique soirée, l’arrivée de sa femme au repas rabat toutes ses cartes et fait décidément tourner la soirée au vinaigre.

Comédie de mœurs réalisée par Pablo Larcuen  mâtinée d’une véritable satire sociale, De quoi je me mêle fouille autant que le précédent court-métrage les questions de lutte des classes. Plus potache, jouant habilement sur les ruptures de ton, on y retrouvera des saillies de violence assez étonnantes et plutôt convaincantes. Une sorte de Parasite mais made in France, scénarisée par le roi de l’absurde qu’était Boris Vian…

Le Cow-boy de Normandie

Un cheval échappé, une femme qui attend son futur mari au PMU du coin, un mariage qu’on attend mais qui ne vient pas (ou peut-être est-ce plutôt l’inverse ?), Le Cow-boy de Normandie est un petit bonbon qui détonne pas mal avec le reste  des courts-métrages autant au niveau de son registre que de son histoire.

Petite fable poétique sur une amourette dans un cadre de province, le court de Clémence Madeleine – Pedrilla convainc par son casting au poil et par son ton léger, flirtant toujours entre humour et sérieux. Un bonbon de cinéma, à déguster sans modération…

La Mécanique des tournesols

Dès son introduction particulièrement originale et décapante, La Mécanique des Tournesols saura se montrer aussi poétique que son titre. On y suit Ernest, manageur de rue, qui après avoir raté son bus se retrouve finalement pris au piège dans un bien mystérieux cabinet de psychanalyse…

Un court réalisé à dix mains – rien que ça ! – par D’Albane Bisleau, Sarah El Karkouri, Valentine Gaffinel, Rokiatou Konaté et Marie Schnakenbourg, on y est directement plongé dans l’univers truculent de l’auteur. Sans doute le court qui se rapproche le plus de l’adaptation la plus connue de Vian au cinéma – L’écume des jours par Michel Gondry – La Mécanique des tournesols tricotera constamment son atmosphère étrange, oppressante, et son discours social (notamment sur le travail), avec des scènes absurdes absolument irrésistibles. Un sacré pari relevé haut la main, traversé d’idées de mise en scène et de cadres particulièrement bien travaillés. Un joli coup de cœur…

Notre Faust

Trio de femmes et trio d’actrices (Audrey Fleurot, Lou de Laâge, Alice Isaaz) pour nous narrer cet étrange pacte faustien sur fond d’histoire d’amour contrariée et de corps rapprochés par la danse.

Un court d’Elsa Blayau et Chloé Larouchi qui marche particulièrement bien par l’alchimie qui transparait entre les trois actrices citées ci-dessus. Une relecture du mythe faustien mise au féminin, qui apporte des visions intéressantes (le rapprochement des corps, le filmage du désir) tout en restant le court le plus ancré dans le réel de cette sélection.

Rue des ravissantes

Lors d’un reportage dans une maison de retraite, une équipe de France 3 Régions fait la rencontre de Gaston Lampion (Jacques Herlin). Si à première vue le vieillard ne se distingue pas des autres pensionnaires, son histoire concernant une ancienne rue du patelin, dénommée la Rue des Ravissantes, intrigue les deux envoyés de la télévision. Et si Gaston disait vrai sur cette ancienne rue qui accueillait alors les prostituées de la ville ?

Le plus long de la sélection (40 minutes), Rue des ravissantes se pare des atours d’un filmage documentaire. L’image sonne vrai (non sans parfois paraitre malhabile), les acteurs ne sont visiblement pas tous professionnels,… Tout cela confère à première vue une facture plus rudimentaire, presque amateure, à ce court-métrage. Et c’est bien là qu’il tire toute sa force ! En effet, ce brouillage entre images pseudo-documentaires et impression de pris sur le vif apportent une crédibilité troublante au virage en direction de la science-fiction que prend le court-métrage. Bourré d’idées, aussi drôle que touchant, La Rue des Ravissantes explore le pan futuriste de l’œuvre de Vian dans une veine résolument nostalgique.

Conclusion

Six courts, six visions parfois diamétralement opposées et une seule constance : l’inventivité folle de l’Univers de Boris Vian. Souvent drôles, jamais ennuyants, ces courts seront un vrai plaisir pour les aficionados de l’œuvre littéraire du grand bonhomme, tout comme ils pourraient créer une porte d’entrée bien commode vers ses écrits ô combien accessibles pour les plus néophytes. Une sélection à découvrir au sein du DVD Boris Vian fait son cinéma disponible depuis peu !

Boris Vian

Fiche technique

DVD Zone B (France)
Éditeur : Blaq Out
Durée : 137 min
Date de sortie : 05 décembre 2023

Format vidéo : 576p/25 – 2.39 (1), 1.85 (5), 1.77 (2 et 6), 1.66 (4) et 1.33 (3)
Bande-son : Français Dolby Digital 5.1 (et 2.0)
Sous-titres : Aucun

Boris Vian fait son cinéma

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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