Sommet du cinéma amoral et gore de la fin des années 80, Nekromantik ressort dans un magnifique coffret comprenant les versions Bluray des 2 films et des tonnes de bonus chez ESC Editions, avant sa mise en ligne sur Shadowz le 17 novembre… Retour critique sur ce pan extrême du cinéma allemand avec un seul conseil de visionnage : ne voyez pas ce film après avoir mangé…
Robert (Daktari Lorenz) travaille comme nettoyeur dans l’entreprise Joe’s Street Cleaning Agency. Un nettoyeur un peu spécial puisqu’il se charge non pas de vider les poubelles ou de s’occuper des sanitaires, mais plutôt de débarrasser les cadavres de scènes de crime ou autres accidents de la route… Un job particulièrement à propos puisque Robert et sa petite-amie (Beatrice Manowski) apprécient agrémenter leurs ébats sexuels avec les corps qu’il ramasse durant la journée. Mais lorsque Robert est viré à cause de ses manigances, son couple explose…
Jörg Buttgereit nait à Berlin en 1963 et s’attache, en tant que cinéaste, à créer des pastiches des films d’horreur qu’il affectionne tant. Pourtant, il se fera réellement connaître grâce au diptyque Nekromantik (1987 pour le premier, 1991 pour le second) consacré tout entier au sujet bien crado de la nécrophilie. Une perversion sexuelle fort peu abordée au cinéma (on pense au Vertigo d’Hitchcock, sous le prisme purement métaphorique, ou encore à Lisa et le diable de Mario Bava en plus frontal), qui permet à Buttgereit d’affoler la censure et évidemment de marquer à jamais l’histoire du cinéma horrifique.
Tourné entièrement en Super 8, le format 1.33:1 et l’image granuleuse apporte à Nekromantik un cachet inimitable (et peu vu au cinéma, le Super 8 étant plutôt un format réservé aux amateurs qu’aux professionnels qui lui préféraient évidemment le 16 mm). Cela fournit au film une aura qui l’éloigne, dans l’esprit du spectateur, des productions cinématographiques et de ses trucages, lui insufflant par conséquent, inconsciemment ou non, une griffe presque documentaire. Couplé aux images d’archives (l’égorgement et le dépeçage d’un lapin notamment), cette intrusion de vrai au sein du film fait flancher l’incrédulité d’un spectateur d’autant plus mal à l’aise devant la déferlante de violence, d’obscénité et d’immoralité qui suivra.
Pourtant, malgré son côté extrême, le film n’est pas à proprement parler gore, au contraire. Il s’attache constamment à son aspect quasi-documentaire qu’on décrivait plus tôt, mais aussi à sa volonté naturaliste au sens qu’évoque Deleuze en invoquant un réalisme qui “en accentue les traits en les prolongeant dans un surréalisme particulier”. Le milieu – un appartement caché derrière une façade anonyme, revenant à plusieurs reprises dans le film – cache ce que l’image-pulsion de Nekromantik nous révèle être un couple de nécrophiles. Ainsi s’ouvre dans la sphère quotidienne (l’immeuble dépeint) un inframonde presqu’horrifique, que personne ne soupçonne.
Un inframonde dans lequel on fait entrer une part du monde extérieur (un fétiche) en obéissant à des pulsions malades : des bouts d’organes, des membres, des os, qu’on découpe à ces cadavres et qu’on conserve minutieusement sur une étagère, bien rangés dans du formol. L’appartement devient l’antre d’un couple prédateur, de leurs pulsions et de leurs fétiches, créant ainsi en parallèle un nouvel univers où les lois (d’attraction, d’excitation, de morale) s’ajustent à ses deux occupants jusqu’à paraître parfaitement normales. En témoigne la musique des scènes de sexe entre les deux nécrophiles et leur récent macchabée : romantique, guillerette, trahissant de l’état émotionnel intérieur des personnages tandis qu’elle nous parait, à nous spectateur, absolument dissonante et en décalage avec ce qui se joue à l’écran.
Un film bien plus subtil qu’il n’y parait, dont la visée n’est jamais celle d’un cinéma d’exploitation, pas plus qu’elle n’est celle d’un film d’auteur où l’on contrôlerait ses effets, ses cadres, sa lumière. Tout dans Nekromantik relève de la débrouille (des organes d’animaux quémandés par le réalisateur auprès d’abattoirs, en se faisant passer pour un étudiant en médecine, jusqu’aux multiples effets pratiques déployés dans le long-métrage), du fait-main le plus noble mais aussi le plus amateur, sans jamais laisser place à une quelconque notion de contrôle. L’image saute, tremble, le focus est aléatoire, les cadres pas toujours soignés, les transitions parfois bancales et les effets sonores rarement correctement captés, et pourtant ! Toute cette liste qu’on pourrait lire comme autant de défauts s’ajoute à la description documentaire qu’on étalait précédemment et appuie la crédulité du spectateur parfaitement démuni devant cet objet si particulier qu’on croirait pris sur le vif.
Et ce schisme entre le cinéma de Buttgereit et le cinéma d’exploitation conventionnel, on le retrouve au sein même de Nekromantik dans une scène où Robert s’en va au cinéma voir un simili-slasher tourné par Buttgereit lui-même (sur lequel il a accolé une partie de la bande-son de L’Enfer des Zombies de Fulci). La salle, hétéroclite, se marre et se bécote devant la violence sexuelle et exagérée du film : Robert tient quelques minutes avant de s’en aller, visiblement courroucé devant ce spectacle où il ne trouve pas la moindre once de crédibilité. Et décidément, ce n’est pas ce que l’on ressent devant Nekromantik…
Pourtant, Jörg Buttgereit offrira un sursaut de ce trop-plein d’hémoglobine et de violence théâtrale à la toute fin de Nekromantik, où Robert finira par mourir dans une littérale explosion de foutre et de sang. Un sursaut macabre mais comique par son outrance, qui réveille un spectateur plongé dans une torpeur du toujours pire. Il retrouve ainsi, enfin, un peu de distance avec la réalité tangible du film. Un sas, en quelques sorte, avant le générique et le retour au monde réel, et un avant-goût de ce que sera Nekromantik 2 (laissant bien plus de place à l’humour et à l’outrance).
Il n’est d’ailleurs probablement pas un hasard que ce film pivot dans l’histoire de l’horreur ait été créé par un allemand. Résurgences d’atrocités d’un pays encore profondément marqué dans sa chair par l’épouvante de l’holocauste, Nekromantik n’aurait probablement guère pu être créé de la même manière ailleurs. Bannie, rejetée, l’œuvre de Buttgereit a dû attendre longtemps avant d’atteindre son statut de film culte qui l’entoure aujourd’hui. Un thème particulièrement intéressant, développé par Linnie Blake dans un article universitaire intitulé The horror of the Nazi past in the reunification present: Jörg Buttgereit’s Nekromantiks.
Bref, Nekromantik n’est pas que la simple œuvre de petit malin ayant la pure volonté de choquer, mais cache dans ses circonvolutions amateures et trash de multiples niveaux de lecture qu’il convient d’explorer profondément. Un film qui est particulièrement bien accompagné par les multiples bonus produits par ESC distribution, et qui sera visible dès le 17 novembre sur Shadowz. Une œuvre importante sous ses atours de petit film choc, que vous pourrez prolonger avec le second volet (Nekromantik 2) et par German Angst, un film en trois segments dont un réalisé par Buttgereit lui-même. Bon courage !
Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.
© 2021 MaG - Movie & Game Tous droits réservés