ŒUVRE – Vivre l’enfer permanent
Sur plus de dix ans, le parcours parallèle de deux infiltrés, l’un dans la police, l’autre dans la pègre hong-kongaise.
Objet d’un remake par Martin Scorsese (Les Infiltrés), la trilogie qui a révolutionné le polar de Hong Kong (elle a donné un nouveau souffle à une industrie alors moribonde) est une réflexion sur la dévotion et la quête de rédemption qui s’interroge sur la place du Bien et du Mal et repose sur l’ambiguïté morale des personnages, deux « héros tragiques » pouvant être perçus comme deux visages de la Perle d’Orient alors prise entre un passé inaccessible et un avenir incertain (suite à la rétrocession à la Chine de 1997).
Dans l’enfer psychologique de l’infiltration où le secret est à la fois menace et garant d’identité(s), le temps défile et l’étau destructeur se resserre en attendant que les masques tombent. Pour les spectateurs, un suspense haletant à la mise en scène virtuose (qui évoque la modernité formelle de Michael Mann) et aux acteurs d’exception (Andy Lau, Tony Leung, Eric Tsang, Anthony Wong, etc.) dont la structure dramatique mafieuse est bâtie sur un scénario parfaitement ciselé délaissant les fusillades opératiques (si chères à John Woo) pour un entrelacs passionnant de manipulations. Un grand classique à (re)découvrir toute affaire cessante !
IMAGE – L’effet miroir
Issues d’une restauration 4K (pour les trois films) réalisée par Media Asia à partir des négatifs originaux 35 mm dans les locaux de L’Immagine Ritrovata (qui a supervisé les transferts), ces images étalonnées par One Cool Production nous parviennent en UHD HDR10 avec des hauts et des bas.
D’une stabilité accomplie et bien plus équilibrées que par le passé, la restitution améliorée du grain argentique (plus propre et conservée) et la gestion optimisée des hautes luminances (l’apparition de détails derrière les fenêtres) n’y étant pas étrangères, elles sont pourtant quelque peu éprouvées par des noirs curieusement aplatis (parfois même colorés) et un piqué anormalement diminué (comme sur les plans larges de la ville). Au-delà de la captation, c’est surtout l’origine numérique de l’ajustement de l’étalonnage qui en est la cause.
Du reste, la palette colorimétrique plus nuancée a été clairement rafraîchie (des changements mineurs, tels la chaleur accrue des primaires, qui ne modifient en rien l’identité visuelle de la photographie) et les sources lumineuses, sensibles aux lieux et/ou personnes qu’elles éclairent (froides dans les bureaux de la police, chaudes en présence de Yan, verdâtres dans le milieu criminel), s’affichent avec plus d’intensité qu’en SDR (les innombrables reflets sont superbes).
SON – The Forgotten Time
Entre les bruits ambiants de la vie urbaine et les dialogues tirés au cordeau, cette bande-son encodée en DTS-HD MA 5.1 nous immerge sans fausse note au sein de la police et des triades de Hong Kong. Mais pour plus de véracité, la plus détaillée VO (cf. la richesse des environnements) est à privilégier sur sa consœur française (malgré un doublage de qualité).
La dynamique impressionne, les effets sonores sont robustes (les coups de feu, la circulation routière), la spatialisation qui est d’une grande justesse (la ventilation du cabinet de psychologie du Dr Lee) est immersive (la scène arrière ne chôme pas), le canal LFE est employé avec efficacité, la mémorable musique est fidèlement retranscrite et les voix, si importantes dans la transmission de la tension, restent toujours claires.
CONCLUSION – L’inéluctable fatalité
Pour la première fois en 4K Ultra HD et en Blu-ray (en France), la trilogie culte Infernal Affairs fait irruption dans nos vies de home-cinéphiles avec ce magnifique coffret en édition limitée qui inclus plus de deux heures de compléments 100% inédits (plusieurs making-of, des scènes coupées, un documentaire, des entretiens) et un livre de 200 pages traduit pour l’occasion (Infernal Affairs: Entre le ciel et l’enfer de Gina Marchetti).
Et si la nouvelle restauration 4K n’est pas exempte de certaines réserves (à commencer par les douceurs), cette chasse névrotique placée sous le signe du repentir (entre deux hommes usés par leur double identité) n’aura jamais été aussi définitive qu’aujourd’hui. 20 ans, l’âge des possibles ?