Compétition officielle, ou Competencia oficial pour les bilingues. Un titre de circonstance, après la révélation du palmarès cannois par Thierry Frémaux il y a quelques jours. Et un titre à ne pas oublier, puisqu’il s’agit de l’une des meilleures comédies de l’année écoulée. Vu qu’elle est  désormais disponible en format physique et en streaming, il est grand temps de reparler de cette perle d’humour noir étrillant le milieu du cinéma.

Collision d'égos imminente

Bébé d’un duo de réalisateurs argentins Mariano Cohn et Gastón Duprat, Compétition officielle nous narre l’histoire d’un millionnaire qui, ne sachant plus que faire pour graver son nom à la postérité, décidera de financer un film. Un très grand film, si possible… Il réunira alors la meilleure réalisatrice du moment, l’intense, castratrice et libérée Lola Cuevas (Penélope Cruz). Et devant la caméra, cette dernière devra diriger la grande star d’Hollywood Félix Rivero (Antonio Banderas), un comédien de théâtre radical Iván Torres (Oscar Martínez) et Diana Suàrez (Irene Escolar), la fille même du richissime financier. Malheureusement pour l’homme d’affaire, si leur talent individuel est effectivement grand, la collision de leur égo n’en sera que plus phénoménale.

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Satire à balles réelles

Et qu’est-ce qu’ils en font, les deux sud-américains, de ce pitch aguicheur ? Et bien ni la comédie potache, ni le pamphlet ronflant qu’on aurait pu craindre ! Habilement, ils parviendront à naviguer entre ces deux récifs, en dépeignant ces personnages enfermés dans leurs lubies et leurs égos respectifs. De la réalisatrice ingérable, absolument certaine de son talent, aux deux mâles (la starlette hollywoodienne et l’occulte homme de théâtre) que tout oppose  si ce n’est leur considération d’eux-mêmes, le portrait du monde du cinéma dépeint ici n’est pas reluisant. Pas plus que celui du financier, grabataire et prêt à tout pour que son nom existe via ce film, et ce jusqu’à « vendre » sa propre fille.

Compétition officielle sait laisser vivre ses plans dans un temps long, un cadrage souvent large et une esthétique léchée mais dépouillée, à l’instar des décors. Les personnages semblent en effet enfermés dans un château des temps modernes, fait de béton et de verre, absolument disproportionné. Écrasés dans ce carcan, les trois protagonistes principaux suivront les lubies créatrices de Lola, soit autant de prétextes pour Mariano Cohn et Gastón Duprat pour nous faire sentir leur cinéma : jeux de sons, de lumière, de cadrage, de textures… Ils expérimentent et, ce faisant, parviennent par leur image à faire passer leur discours. Mais pour tenter de bien comprendre le film, nous allons nous focaliser sur une scène bien précise.

Le baiser

Acmé érotique du long-métrage, la scène de baiser (voir vidéo ci-dessus) contient l’essence de ce passionnant film argentin. Nous parlions de collisions d’égos, nous avons ici une collision d’époques. Celle de l’ancien cinéma, fait par des hommes pour des hommes : l’homme résolument viril (Rivero et son érection), la différence d’âge penchant toujours du côté masculin (Torres), le rôle de voyeur parfois gêné mais s’accommodant au final bien de la situation (le riche financier). Une époque révolue que Lola fait éclater d’un seul rictus castrateur : ces pauvres gars si sûrs d’eux ne véhiculent rien… Malgré leurs récompenses, malgré leur expérience, leurs baisers ne déclenchent pas la moindre sensation, tout au plus un certain malaise.

C’est d’ailleurs elle qui va devoir passer derrière la caméra (et derrière les micros, puisqu’ici « le son est la clé ») et leur montrer ce qu’elle souhaite capter. Première et nouvelle étape : le consentement. Un consentement suite auquel nait enfin la sensorialité. Les sons. Les gémissements. Les caresses. Les regards. Et par conséquent l’érotisme… Les corps passent de la verticalité imposée par la rigidité masculine à l’horizontalité proposée par Lola.

Un renversement duquel émerge le ressort comique de la scène – la gêne et le départ du père – mais également toute sa substance théorique. Un plan italien, relativement large, une caméra majoritairement statique, aucun dialogue ronflant ou esbroufe visuelle et pourtant ! Tous les enjeux du discours du film sont là. Une simplicité dépouillée et au combien évocatrice – de sens, d’humour, de malice – qui promet à ces deux réalisateurs une brillante carrière à venir. Bref, Compétition officielle est une comédie subtile, grotesque, acerbe, comme on voudrait en voir plus !

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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