Hormis quelques amateurs d’animation nipponne, peu de gens connaissent même le nom de Yoshikazu Yasuhiko en France et en Occident en général. Ce grand monsieur de la culture japonaise a pourtant une carrière exceptionnelle et s’est illustré dans de nombreux domaines : mangaka, animateur, réalisateur de certains des titres les plus fameux du genre, l’homme est une légende vivante.
Témoin vivant de l'histoire, le créateur n'aura de cesse d'en faire l'allégorie au fil de ses réalisations...
Né en 1947 dans une modeste famille paysanne au lendemain de la seconde guerre mondiale, de la défaite de l’empereur Hiro-Hito et des bombardements de Hiroshima et Nagasaki, Yoshikazu Yasuhiko a pu voir son pays renaitre de ses cendres, se moderniser souvent davantage que ceux qui le dominaient quelques années auparavant et, dans le même temps, avoir bien du mal à exorciser ses vieux démons, qu’il s’agisse du rôle des japonais dans les horreurs commises en Asie depuis les années 30 ou le traumatisme de la bombe nucléaire ayant logiquement marqué le pays jusque dans son esprit et sa chair. Témoin vivant de l’histoire, le créateur n’aura de cesse d’en faire l’allégorie au fil de ses réalisations, qu’elles se matérialisent sur les planches d’un manga ou la pellicule d’un anime.
Destiné à travailler à la ferme comme le désirait ses parents, Yasuhiko est très vite attiré par le dessin. Ne voulant pas décevoir ses parents, c’est en cachette, tout d’abord, qu’il fait ses premiers essais alors qu’il est encore à l’école primaire. À l’instar de nombreux mangaka de sa génération et mêmes des suivantes, c’est le travail d’Osamu Tezuka (Astroboy, Le Roi Léo) qui l’influencera, mais aussi les œuvres de Mitsuteru Yokoyama (Tetsujin 28-go) ou Mitsuaki Suzuki (Momoko Tanteicho). Ses années de lycée, se déroulant en pleine guerre du Vietnam, lui donneront le goût de la politique.
Membre du parti Communiste (qu’il quittera à l’université après des désaccords) se positionnant contre l’impérialisme américain dont son pays avait lui même fait les frais, il y affine sa vision de la société et du monde. Ses idéaux évolueront avec le temps, mais le fond de sa pensée, libertaire et anti-militariste, restera à jamais le même, ancré en lui et dans ses œuvres. Ayant mis le dessin de côté pour mener à bien son rôle de militant, c’est une fois libéré de cette fonction que la passion refait surface.
En 1970, il abandonne ses études à l’Université d’Hirosaki et part pour Tokyo afin de postuler chez Mushi Productions, le studio de son modèle Osamu Tezuka. Charmé par ses dessins et son travail en tant qu’animateur-clé sur la série Kurenai Sanshirô (connue chez nous sous le titre Judo Boy) effectué pour Tatsunoko Production l’année précédente, l’entreprise l’embauche alors pour occuper la fonction d’animateur. C’est donc, fait existant mais peu courant, par l’animation et non le manga que Yasuhiko débute sa carrière professionnelle (généralement, c’est plutôt le contraire ou alors, dans bien des cas, les dessinateurs liés à l’animation, à l’image d’un Yoshiaki Kawajiri, demeurent strictement dans ce domaine). Petit à petit, Yasuhiko grimpe les échelons et apprend toutes les étapes de la production d’un anime.
Son premier fait d’armes, Sasurai no Taiyô (Nathalie et ses Amis), dont il gère le chara-design en 1971, l’amène à occuper ce rôle sur une longue série de réalisations : Yûsha Raidîn en 1975, Chôdenji robo Kon batorâ bui en 1976, Muteki chôjin Zambot 3 en 1977, Les Aventures du Petit Prince (basé sur le personnage de Saint-Exupèry) en 1978… Ce premier travail au sein de Mushi Production sera de plus très important pour le reste de sa carrière. En effet, c’est à cette occasion qu’il fait la rencontre de Yoshiyuki Tomino (Dororo, Ashita no Joe), avec qui il entretiendra à partir de ce moment une relation amicale profonde ainsi qu’une entente artistique et professionnelle fructueuse.
C’est en 1978 que Yahsuhiko se voit offrir sa première réalisation avec Hoshi no Ojisama Puchi Puransu, une série télévisée de 11 épisodes matinée de SF au sein de laquelle évolue encore une fois Le Petit Prince créé par Antoine de Saint-Exupéry. En 1979, son compère Yoshiyuki Tomino l’invite à s’occuper du chara-design et de l’animation de Mobile Suit Gundam qui, avec le succès que l’on sait, deviendra l’une des licences les plus cultes de la japanimation. Yasuhiko donnera ici libre cours à son imagination débordante et sons sens du détail hors du commun en élaborant le design des mécha de la série.
Le succès aidant, notre dessinateur passera la majeure partie des années 90 et 2000 à s’occuper de la saga, passant de l’animation-clé à la réalisation des séries (Mobile Suit Zeta Gundam, 1985), OAV (Mobile Suit Gundam Unicorn, 2009 et Mobile Suit Gundam: The Origin, 2015-2018) et films (Mobile Suit Gundam F91, 1991, Mobile Suit Gundam: Cucuruz Doan’s Island, prévu en 2022) de la licence.
Les projets d’envergure auxquels notre homme a participé sont trop nombreux pour être exhaustivement cités ici sans ennuyer le lecteur inutilement. Mentionnons toutefois Space Battleship Yamato dont il élabore les story-board en 1978 et 1979, Crusher Joe qu’il réalise, écrit et dessine en 1983 et dont il conçoit le chara-design pour l’OAV de 1989; ou encore Arion, qu’il réalise en 1986, après avoir composé le manga dont le film est tiré. Arion, fresque épique sur fond de mythologie grecque, est donc son premier manga à être publié. Son succès amènera Yasuhiko à en réaliser l’adaptation animée.
Ses début encourageants pousseront l’artiste à écrire plusieurs manga tirant le plus souvent davantage vers le genre historique que la SF, qui l’occupait déjà assez avec la licence Gundam. Ainsi, Nijiiro no Trotsky (1990) invite le lecteur à suivre une intrigue d’espionnage dans la Chine communiste. Plus tard, il écrira Jeanne (1995), œuvre inspirée par l’histoire de Jeanne d’Arc mais aussi Jesus (1997), projet revisitant l’existence du prophète biblique. Il est aussi l’auteur d’un manga sur Alexandre le grand, pas encore publié en France à ce jour. C’est aussi de l’un de ses manga que va être tiré le long métrage sur lequel nous allons nous arrêter dans ces prochaines lignes.
En effet, Venus Wars, sorti au Japon en 1989 (il faudra attendre une édition de Manga Vidéo en 1995 puis, plus tard, une autre de HK Vidéo, pour que le public français ait accès à cette œuvre), est basé sur l’histoire du bouquin éponyme (4 volumes parus entre 1986 et 1990) bien entendu simplifiée pour en amoindrir la durée à l’écran.
Une réflexion sur les conflits armés...
Si l’on devait faire un lien entre toutes les œuvres écrites et réalisées par Yasuhiko, cela ne tiendrait qu’en un seul mot : la guerre. Qu’elle se fasse à coup de mécha interposés, d’épées ou d’armes plus contemporaines, Yasuhiko, enfant de l’après-guerre et jeune adulte s’étant forgé politiquement au cours de celle du Vietnam, aime l’illustrer, avec une minutie peu commune, tout en mettant en lumière sa froideur déshumanisante ainsi que ses conséquences sur l’être humain, contraint de s’adapter aux circonstances et d’agir selon ce qui lui semble juste ou intéressant pour lui.
La plupart du temps assez simplistes, les trames qu’il met en place invitent souvent à une réflexion sur les conflits armés et leurs lots de misère et de contrecoups néfastes pour les sociétés et les individus y étant impliqués. Pour l’auteur, la guerre semble constitutive de l’esprit et de l’agir humain qui, par appât du gain, ambition et quête sans fin du pouvoir, en vient toujours à vouloir anéantir ses congénères.
L’individu, même pacifiste et anti-militariste comme il l’est lui même, est contraint de composer avec cette réalité quasiment inévitable: qu’on le veuille ou non, la guerre viendra un jour frapper à nos portes. La question ultime est de savoir ce que nous ferons lors de cette situation. En ferons-nous une invitation à la bestialité ou, paradoxalement, transformerons-nous ce rendez-vous en une affirmation, envers et contre tout, de ses valeurs et de son désir de paix ? Et c’est bien de tout cela dont il est question dans Venus Wars.
Le scénario situe l’action sur Venus, dont l’atmosphère est devenue inadaptée à l’espèce humaine après une collision avec une comète en 2003. Ce changement a alors entrainé la colonisation de la planète par les hommes, y important avec eux leurs défauts et leurs manquements : sociétés inégalitaires et brutales, conflits larvés (ou pas) entre les deux entités politiques édifiées au cours du temps, Ishtar et Aphrodia. Susan Sommers, une journaliste terrienne se rend sur place afin de couvrir la guerre qui se profile entre les deux nations vénusiennes et y découvre peu à peu les particularités locales.
Lorsque l’invasion d’Aphrodia par les forces d’Ishtar se déclenche, celle-ci croise la route d’une bande motards adepte de courses motorisées ultra-violentes, les Killer Commandos, menée par l’intrépide Hiro. Le groupe sera vite recruté (de force) par l’armée aphrodienne afin d’effectuer des opérations de guérilla contre les chars blindés d’Ishtar. Pris en tenaille dans un conflit qui les dépasse, chacun devra alors choisir son camp et agir selon sa propre conscience.
Une trame inutilement compliquée...
L’intrigue est donc assez simple. Les personnages, très archétypaux, ne sont pas vraiment approfondis. Susan Sommers, que l’on suit dès le départ, est très vite abandonnée pour que le spectateur suive la trajectoire de Hiro et sa bande d’amis. Si Venus Wars pèche et ne parvient pas à atteindre la virtuosité de films SF comparables tels que Akira (Katsuhiro Otomô, 1988) ou Ghost in The Shell (Mamoru Oshii, 1995), c’est essentiellement de ce coté là qu’il faut en chercher les raisons.
De nombreux personnages, à l’instar de la journaliste, interviennent au cours du récit et sont peu à peu éludés au profit d’autres, donnant parfois l’impression d’une trame inutilement compliquée. Présents dans le manga initial, ces personnages auraient simplement dus être abandonnés dans l’anime mais Yasuhiko n’a sans doute pas pu se résoudre à évincer des protagonistes à qui il tenait.
Le personnage principal, Hiro, qui rappelle fortement le Kaneda de Akira dans son évolution et son chara-design, possède un parcours et des caractéristiques somme toute assez commune à de nombreuses réalisations du genre. On y suivra agréablement sa trajectoire, de type initiatique, sans toutefois y déceler une réelle originalité.
D'une redoutable efficacité en matière d'action...
En revanche, niveau réalisation, le métrage est une réussite. Oscillant entre les teintes verdâtres ou orangées que ne renierait pas Paul Verhoeven et son Total Recall, Yasuhiko parvient à mettre en place une ambiance de chaos et de poussière crasseuse très convaincante. Lors de l’attaque des forces ishtariennes, la « caméra » se fait quasiment portée, cadrant parfois « mal » les éléments du plan, comme s’ils étaient pris sur le vif par un reporter de guerre. Ceci donne des séquences et un découpage innovants et fluides, peu abordés à cette époque dans le cinéma d’animation.
Yasuhiko joue aussi beaucoup avec le flou des arrière-plans, comme si la mire de la caméra, sur le moment, n’était pas parvenu à se fixer, ce qui ajoute encore à l’impression de « docu-fiction » ressentie. Autre innovation remarquable : l’incrustation de décors live, surtout dans le climax, qui, mêlés aux personnages en 2D traditionnelle, fonctionnent plutôt bien et donnent au film un charme suranné qu’affectionneront les amateurs d’anime typiques des années 80 et 90, avant l ‘avènement de la CGI. Les chara-design, qu’ils concernent les personnages ou les véhicules et autres mécha, sont très appliqués, comme Yasuhiko nous y a souvent habitué.
Porté par le score très 80’s de Joe Hisaishi, le compositeur attitré de Hayao Miyazaki, le film est d’une redoutable efficacité en matière d’action et de production globale. Très franchement, Venus Wars, au niveau de sa réalisation et de sa mise en scène, n’a pas grand chose à envier aux mastodontes de la japanimation de la même période.
Akira et Venus Wars ont souvent été mis en rivalité...
Le film n’obtiendra pas un grand succès à sa sortie en salles. Paru peu de temps après Le Tombeau des Lucioles (Isao Takahata, 1988) et Surtout Akira, Venus Wars aura souvent du mal à soutenir la comparaison. Sa parution tardive en Europe ne jouera pas non plus en sa faveur : à sa sortie, le public a déjà digéré plusieurs films du genre et l’effet de surprise est logiquement vite désamorcé.
De plus, Akira et Venus Wars, deux films de SF abordant des thèmes et des personnages similaires (une bande jeunes motards du futur, coincés dans une société nauséabonde, qui se retrouvent mêlés à des conflits dont ils ne comprennent pas tous les tenants), ont souvent été mis en rivalité et en opposition par le public; Venus Wars occupant le rôle de semi-plagiat de série B, sympathique et bien exécuté au demeurant, mais rien de plus.
Il est clair que la manga Akira, publié en 1982 et faisant l’effet d’une bombe au sein de l’industrie, a du influencer fortement celui de Yasuhiko. Cependant, il y a fort à parier que les films, sortis respectivement en 1988 et 1989, étaient en production au même moment. Venus Wars a sans doute été réalisé de façon autonome, sans avoir été marqué ou imprégné par la révolution technique et visuelle que représente Akira.
Aussi, il est bon de rappeler que les scenarii impliquant de jeunes motards étaient en vogue à ce moment. Anecdote intéressante : en 1982, le responsable éditorial du Weekly Shônen Jump Nobuhiko Horie, pressentant la nouvelle tendance, avaient proposé à sa jeune recrue Tetsuo Hara (plus tard le créateur de Hokuto no Ken) la conception d’un manga basé sur les aventures d’un jeune motard du futur et d’un sport violent de type Rollerball. Cette idée avait donné naissance au titre The iron Don Quixote, qui, bien que ne rencontrant pas le succès, annonçait déjà la vague d’histoire de ce type, dont Akira et Venus Wars sont les dignes représentants.
Quoi qu’il en soit, l’œuvre de Yasuhiko demeure un long métrage de grande qualité qui ravira les amateurs et les nostalgiques des productions typiques de la période, mais aussi les autres, à n’en point douter.
En grand écart comme Jean-Claude entre l'Asie et l'Amérique, j'aime autant me balader sur les hauteurs du Mont Wu-Tang que dans un saloon du Nevada, en faisant la plupart du temps un détour dans les ruelles sombres d'un Tokyo futuriste.
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