Nous plongeant avec brio et maturité dans les sombres méandres d’une société en risque d’implosion permanente, The Witcher: Le Cauchemar du loup, préquel animé de la série Netflix bien connue, constitue un vibrant hommage aux grands noms de l’heroic fantasy. Petit retour sur un joli morceau d’animation.
Dans l'ombre du live
Peu, voire pas du tout, au fait des aventures vidéoludiques du Sorceleur, c’est en pur novice que je suis entré dans l’univers médiéval et fantastique de l’illustre pourfendeur de monstres par le biais de la série live proposée par la plate-forme de streaming au N rouge. Annoncée en grande pompe et profitant de moyens non négligeables, celle-ci, sans m’avoir chamboulé, s’est avérée être un divertissement tout à fait honorable – sans rien exagérer – avant que l’infâme spin-off The Witcher: L’héritage du sang (Declan de Barra, 2022) ne vienne mettre un terme à cette idylle, somme toute assez surfaite.
En fait, c’est une petite pépite, passée injustement inaperçue, ne pouvant lutter devant le mastodonte et un Henry Cavill en mode « blonde platine », qui a essentiellement suscité mon enthousiasme. En grand amateur d’animation, je me suis, sans grand espoir ni attentes, lancé dans The Witcher: Le cauchemar du loup, préquel de 83 minutes de la dite série, narrant les aventures de Vesemir, mentor du célébré Geralt de Riv, personnage principal de la fortunée série initiale.
La Corée du Sud, une industrie qui se distingue
La Corée du Sud, en matière d’anime, est devenu reine de la sous-traitance ces dernières années. Aux États-Unis comme au Japon, nombreux sont les séries et long-métrages faisant appel aux petites mains coréennes, souvent anonymisées, pour mener à bien les projets les plus attendus. Fondé en 2010 par Jae-Myung Yu (animateur-clé sur Les Chroniques de Riddick: Dark Fury en 2004 ou directeur de l’animation sur Avatar, le dernier maître de l’air entre 2005 et 2008), le commercial Seung-wook Lee et Kwang-il Han (ayant partagé la direction de l’animation avec son ami sur Avatar, celui-ci aura officié sur de nombreuses adaptions animées Marvel ou DC telles que Hulk et Wonder Woman en 2009 ou encore DC Showcase: Jonah Hex en 2010), le studio Mir est l’un des principaux acteurs de cette nouvelle donne.
Travaillant aussi bien en co-production avec la Chine, notamment avec le sympathique Big Fish and Begonia (2016) qu’avec des firmes américaines telles que Warner Bros (Mortal Kombat: Scorpion’s Revenge, Batman: Soul of the Dragon, Harley Quinn, etc.), Adult Swim (Black Dynamite, The Boondocks…) ou encore Dreamworks (Kipo et l’Âge des animonstres) et Nickelodeon (La Légende de Korra), le prolifique studio a bien entendu laissé son empreinte au sein de nombreuses productions Netflix (Voltron, Dota: Dragon’s Blood, Lookism, etc.). Fort de ce palmarès, c’est donc le Studio Mir, avec Kwang-il Han à la réalisation, qui écopera officiellement de la conception des aventures animées du sorceleur en janvier 2020.
Une écriture mature
Futur père de substitution de Geralt de Riv, Vesemir traîne ses guêtres dans une Europe moyenâgeuse – en 1165 nous dit-on – en proie à une invasion de monstres sans précédent. Oscillant entre passé et présent, le film nous dresse les origines de la vocation du jeune sorceleur qui, alors jeune orphelin en servitude, croise la route d’un chasseur de monstres, Deglan, qui l’amènera à Karer Morhen, centre de formation pour sorceleurs, afin qu’il se forme à ce qui sera dès lors un moyen de survivre, davantage qu’un sacerdoce.
Devenu adulte et âprement formé à sa besogne, Vesemir, après avoir mis hors d’état de nuire une créature parlant inhabituellement un langage elfique ancien, se retrouve mêlé à une sombre lutte de pouvoir entre humains, sorceleurs, monstres et elfes, tous tentant, soit en manipulant, soit en tuant, de préserver leur lignée des affres du temps et de la menace des groupes rivaux.
Le monde dépeint par The Witcher: Le Cauchemar du loup est en effet impitoyable. Dès les premières minutes, le spectateur assiste au massacre sanglant d’une famille traversant une lugubre et inhospitalière forêt enneigée. Nous sommes prévenus, le film ne s’adresse pas aux enfants, ni aux âmes sensibles. Le monde imaginé par Andrezej Sapkowski dans ses romans, ici scénarisé par Beau DeMayo (Moon Knight, Star Trek: Strange New Worlds, The Witcher…), prend une tournure des plus sordides et désespérées, mais aussi des plus réalistes. Loin de la noblesse quasi chevaleresque d’un Henry « Geralt » Cavill, Vesemir est, à l’instar de ses congénères, un être désabusé, misanthrope et torturé, ne reculant devant aucune forfaiture tant que celle-ci va dans le sens de ses intérêts. Dans ce monde, il n’y a que peu de place pour la compassion. Seul s’en sort celui qui est le plus apte à survivre, quels que soient les moyens employés pour y parvenir.
Le Cauchemar du loup nous dresse donc brillamment le tableau d’une société codifiée, rigidifiée par un protocole désuet, au sein de laquelle se meuvent divers protagonistes, divers clans, divers ethnies et croyances, toutes ayant de très bonnes raison de se méfier de l’« autre », ce dernier n’ayant en retour que la même aversion à partager. Un monde qui, malgré ses monstres et ses sorciers, s’avère bien humain et familier. Inutile d’en souligner davantage le sous-texte. Le film se charge, tout en nuance, mais avec un degré d’intelligence, d’acerbité et de noirceur peu courantes dans un métrage animé, même pour adultes, de nous le mettre en lumière… mais aussi en images.
Une réalisation qui sort les crocs
En effet, au niveau visuel, le studio Mir fait le taf. Après un début réellement gore, Kwang-il Han nous promène dans son univers à la beauté macabre mais envoutante. Un soin particulier est apporté aux décors et atmosphères, faisant de The Witcher l’une des meilleures réalisations de Dark Fantasy de ces dernières années, à l’esprit proche de celui que pouvaient développer ses consœurs des années 80 (Conan, Excalibur, Ladyhawke, La Chair et le Sang…) ou un Kentaro Miura et son Berserk. Magique, mystique, cruel, profond, funeste… mais aussi très palpable. Les chara-design des personnages, à mi-chemin entre influences japan-animées et comics, sont des plus adéquats pour faire ressentir cette impression de réalisme. Le monde conçu par Mir semble vivant, magnifié par de multiples détails favorisant une immersion fortement appréciable.
Si l’animation souffre à quelques moments de quelques lenteurs et d’un manque relatif de fluidité, la beauté des dessins, l’intelligence des cadres et une honorable mise en scène comblent, à mon humble avis, ces quelques bévues. De plus, le style très old school et 2D choisi judicieusement par le studio sud-coréen contribue à ce que ces défauts deviennent peu signifiants, voire même des atouts, pour ceux que ne rebute pas le rythme et le montage des anime des années 80 ou 90, correspondant indéniablement à la touche que semble vouloir donner Kwang-il Han à son projet.
En bref, The Witcher: Le Cauchemar du loup est une véritable bonne surprise. Travail appliqué et méticuleux, autant dans son fond que dans sa forme et, selon moi, bien plus réussi que sa version live, le film saura ravir les amateurs de tripailles, de dark fantasy bien « dark » (que c’est rare !) et de récits sombres et torturés. Comme le dit si bien Vesemir : « un sorceleur n’hésite jamais ! ». N’hésitez pas.
En grand écart comme Jean-Claude entre l'Asie et l'Amérique, j'aime autant me balader sur les hauteurs du Mont Wu-Tang que dans un saloon du Nevada, en faisant la plupart du temps un détour dans les ruelles sombres d'un Tokyo futuriste.
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Ca donne envie ! ^^
Je confirme oui… Plutôt que L’Héritage du sang, festival de débilité et d’inclusivité qui conchie sur son propre univers, c’est cet anime que j’aurais dû visionner !
C’est drôle car j’ai récemment failli replonger dans The Witcher 3, et je me suis ravisé au dernier moment en me disant que je ferais mieux de découvrir des jeux que je ne connaissais pas. J’ai même hésité à choper les livres puis j’ai finalement commencé un autre bouquin. Ta critique arrive donc à point nommé, je vais regarder ce préquel pour découvrir un autre pan de cet univers !