Les histoires de possessions démoniaques, pour le meilleur comme pour le pire, ne se comptent plus au cinéma. Quant au found footage – à savoir le « style documentaire » efficace et pratique lorsque l’on manque de budget… et parfois d’idées – procédé de mise en scène utilisé jusqu’à l’écœurement depuis le succès du Projet Blair Witch; force est de constater qu’à part quelques pépites (par exemple, le dépaysant Troll Hunter), il n’ a donné lieu, ces dernières années, qu’à une suite de films horrifiques aussi oubliables les uns que les autres.

Une production prometteuse

Si The Medium attire l’attention au départ, ce n’est donc pas pour l’originalité de son concept mais surtout grâce à la présence du beaucoup trop discret Na Hong-jin au scénario et à la production. Pour ceux qui ne connaissent pas encore l’homme, il s’agit simplement de l’une des plus grandes révélations du cinéma sud-coréen du XXIe siècle. Si ce dernier n’a pas encore l’aura et la renommée de certains de ses compatriotes, tels que les illustres Bong Joon-ho ou Park Chan-wook, c’est essentiellement dû au fait qu’après avoir réalisé deux courts métrages en 2006 et 2007 (A Perfect Red Snapper Dish et Sweat), il n’est pour le moment l’auteur que de trois films, parus respectivement en 2008, 2010 et 2016. Mais quels films ! Tout simplement un sans faute.

Na Hong-jin commet tour à tour trois chefs-d’œuvre, démontrant une précision et une maîtrise de la mise en scène n’ayant rien à envier aux grands noms du polar et de l’horreur. Après deux thrillers sans compromis (The Chaser en 2008 et The Murderer en 2010), le réalisateur mettra six ans à mettre sur pied ce qui reste à ce jour, et sans rien exagérer, l’un des plus grands films de ces dernières années: The Strangers. Sombre, viscéral, d’une exécution admirable, aux ruptures de ton savamment orchestrées, nous plongeant dans l’intimité des familles rurales du sud de la Corée, avec leurs croyances, leurs coutumes, leurs angoisses et leurs névroses, le film est une réussite. Un thriller horrifique, lorgnant vers Memories of Murders sans toutefois se départir d’une originalité et d’une particularité tirant vers le génie. En gros, une œuvre inoubliable, mettant Na Hong-jin définitivement sur orbite, obtenant après trois long-métrages le statut de génie du cinéma et espoir du renouveau du cinéma asiatique, avec ses compatriotes déjà cités.

Des thèmes chers à Na Hong-jin

Avec The Medium, Na Hong-jin, rendant dans le même temps un vibrant hommage à L’Exorciste, poursuit son travail d’auteur en remaniant les concepts et les questionnements déjà présents dans ses précédentes réalisations, et en particulier The Strangers. Ici, les campagnes coréennes sont remplacés par celles de Thaïlande mais notre homme y aborde les thèmes lui tenant à cœur : la ruralité et ses habitants, les drames familiaux et les non-dits, les croyances locales se heurtant avec les croyances importées (ici le christianisme) comme l’arrivée d’un japonais dans le village coréen de The Strangers troublait la tranquillité culturelle d’une communauté repliée sur elle même.

Prenant encore une fois tout son temps pour nous plonger dans l’horreur, Na Hong-jin élabore un récit dans lequel des reporters suivent le quotidien de Nim (Sawanee Utooma), chamane vouée à la déesse Bayan, qui leur explique le pourquoi et le comment de ses activités, mais aussi les modalités d’élection à ce rôle se transmettant entre femmes issues d’une même lignée. Sa sœur, initialement « choisie » par Bayan pour être son intermédiaire avec la communauté locale mais ayant refusé cette destinée en se convertissant au christianisme, c’est finalement Nim qui devra assumer cette fonction. Le scénario nous laisse le temps de faire connaissance avec toute cette famille (et leurs problèmes internes), marquée par des drames apparemment inexpliqués et sans liens entre eux. Seulement, Mink (Narilya Gulmongkolpech), la nièce de Nim, semble depuis quelques temps souffrir des symptômes annonçant l’attention portée par la déesse sur une personne. Douleurs physiques, instabilité et comportements étranges… tout le monde en est convaincu : Mink, au grand dam de sa mère, a été élue pour devenir la nouvelle chamane. Cependant, les actes de plus en plus malsains de la jeune femme laissent peu à peu présager que ce qui l’habite n’est pas une déesse bienveillante mais quelque chose de bien plus sombre.

Une lente descente aux enfers

Coté réalisation, Banjong Pisanthanakun qui, aprés Shutter (2004) et Alone (2007) s’est imposé comme l’un des fers de lance de l’horreur thaïlandaise, s’applique à faire de ce faux documentaire une expérience se voulant immersive et éprouvante. Le début du film se caractérise par une mise en abîme rappelant fortement The Strangers, avec ses longs plans panoramiques et ses travellings lents sur les paysages ruraux et forestiers du nord de la Thaïlande, donnant à l’environnement local un aspect mystique et angoissant. Les personnages y sont d’ailleurs la plupart du temps filmés en plans larges ou moyens, insérés – voire enfermés – dans une société traditionnelle et normée décidant pour eux ce qu’il en est de leur rôle et de leur statut. La famille et les coutumes sont pesantes et Pisanthanakun parvient assez aisément à le représenter visuellement. Le mélange des plans « documentaires » avec ceux de la « fiction » devient d’ailleurs de moins ne moins perceptible.

Ici, le found footage n’est pas un prétexte à délaisser certaines aspirations esthétiques et faire l’économie d’une mise en scène élaborée. Les images sont belles et les cadres pensés; la collision entre le « réel » et le « récit » devant faciliter l’immersion du spectateur, projeté dans une apparence de normalité et d’authenticité qui se craquelle au fil du temps. Une fois le public happé, le réalisateur opère un virement croissant vers le recours aux images proprement documentaires. Les plans se font moins cadrés, les visages se rapprochent, le grain se fait plus sale, les scènes prenant l’allure de séquences captées par des téléphones portables, des caméras infrarouges et autres procédés propres au found footage. Mais il est trop tard, le spectateur sur qui le procédé a fonctionné est déjà convaincu de la réalité des événements se déroulant sous ses yeux. Et le déferlement d’horreurs que l’on sait très vite inéluctable – et plausible – n’en est alors que plus dérangeant.

The Medium est un film jusqu’au-boutiste et donc forcément clivant. On pourra lui reprocher la lenteur de sa mise en place, lorsque d’autres penseront que c’est justement ce qui fait sa force. Certains critiqueront une écriture assez sommaire des personnages, n’évoluant que très peu malgré les turpitudes vécues au fil du récit tandis que d’autres affirmeront que celle-ci, ne se dévoilant que dans un final où tous les potards sont au maximum, vient clôturer brillamment la sombre et longue plongée dans l’abomination construite par Pisanthankun et Hong-jin.

De même, cette frontière intentionnellement floue entre fiction et documentaire pourra en décontenancer plus d’un, Pisanthanakum épuisant peu à peu toutes les techniques propres au genre, déjà éculées depuis belle lurette, pour nous offrir un spectacle qui, somme toute, n’est qu’un énième récit de possession dont les canevas scénaristiques sont trop attendus. Les plus exigeants pourront d’ailleurs légitimement se demander comment tel ou tel plan, même à l’aide des multiples caméras des « reporters », sont finalement visibles à l’écran.

Les plus cléments répondront alors que la fiction est aussi à l’œuvre et que le film n’est pas un found footage à proprement parler. On rétorquera aussi que le réalisateur récupère en effet des tropes horrifiques connus de tous mais dans le seul but de faire de cette compilation une œuvre innovante, facilitant de fait l’intégration de divers éléments narratifs pour nous faire plus facilement basculer dans l’effroi. Et si l’on admet ces arguments et que l’on accepte l’invitation au voyage alors oui…The Medium est un film d’horreur très dignement exécuté et réellement effrayant.

Disponible en VOD, DVD et Blu-ray depuis le 22 juin 2022 via l’éditeur The Jokers.

En grand écart comme Jean-Claude entre l'Asie et l'Amérique, j'aime autant me balader sur les hauteurs du Mont Wu-Tang que dans un saloon du Nevada, en faisant la plupart du temps un détour dans les ruelles sombres d'un Tokyo futuriste.

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